Lorsque l’Europe coloniale posa les pieds en Afrique centrale, le territoire des peuples Ekang, englobant notamment les Beti et les Fang, ne fut ni un désert social ni une terre sans structures. Il était habité par des sociétés organisées et hiérarchisées. À la tête de celles-ci se tenaient des chefs de famille, des prêtres traditionnels, des maîtres-initiateurs, des médecins traditionnels, des guerriers et des sages, dépositaires de la tradition, de la protection et de la cohésion de leurs communautés.
L’arrivée des colonisateurs allemands puis français, ainsi que leurs multiples agressions et humiliations, bouleversèrent cet équilibre. Face à cette situation, les chefs Ekang réagirent de manière variée. Certains choisirent de résister farouchement, par les armes ou la ruse. D’autres, en quête de préservation ou par opportunisme, acceptèrent de composer avec les nouveaux maîtres, sacrifiant parfois leurs cultes religieux, leurs connaissances sacrées et secrètes, leurs terres, leurs sanctuaires et leur organisation sociale. Entre résistants, stratèges et figures contestées, l’histoire de ces chefs est celle d’un peuple confronté à l’une des périodes les plus décisives et les plus douloureuses de son histoire.
1- Les chefs Ekang du Cameroun
1- Essono Ella
Essono Ela accueillit les premiers Allemands arrivés à Yaoundé sur ses terres, il fut désigné Chef des Ewondo par ces derniers. Il incarna l’autorité locale à l’aube de la pénétration coloniale allemande.
2- Zambo Nsa
Fils de Mbala Messolo, Zambo Nsa du clan Mvog Amougou, rencontra l’Allemand Kund en 1887. Ce premier contact avec les Européens se solda par son élévation au rang de « Roi des Bënë » par les colons.
3- Mbida Mengue Me Mba
Chef des Mbidambani, il résista héroïquement entre 1903 et 1904, infligeant des défaites à Hans Dominik lors d’embuscades redoutées. Il fut tué en 1904.
4- Oba’a Mbeti (vers 1850 – 1906)
Chef des Yemeyama, il attaqua Kribi en 1899, harcela les Allemands avant d’être capturé et exilé. Réhabilité en 1904 comme Oberhauptling, il mourut en 1906.
5- Nkal Mentsouga
Grand chef Yebekolo, il affronta les Allemands mais fut trahi par les Maka alliés aux colons.
6- Charles Atangana
Chef supérieur des Ewondo et Bënë, désigné par les Allemands pour incarner le modèle de la chefferie administrative.
7- Zoa Fouda Ngono (Zoke Poute Ngono)
Chef supérieur des Menguisa, né vers 1865 et mort en 1939, il fut célèbre pour son immense harem de 816 femmes, selon la légende.
8- Foe Ndi Frederic (Foe Avoro)
Chef supérieur des Bënë du Sud du Nyong sous la colonisation française.
9-André Amougou Anaba
Chef supérieur des Bënë du Nord (Nkol Afamba) sous la colonisation française.
10-Kezza Evina Minko’o (1840 – 1925)
Chef Bulu d’Azem près d’Ebolowa, figure de la continuité coutumière.
11- Mekulu M’Oba’a
Fils d’Oba’a Mbeti et chef supérieur des Bulu à Ebemvok. Il accéda au pouvoir en 1918-1919 après des querelles internes (lire les articles la guerre Oban Bulu et Oban Fang) et fut réputé pour ses pouvoirs mystiques.
12-Ndengue Ndjouli (Angandji Mateke)
Chef de Ngoro dès 1900, reconnu par Hans Dominik, son influence se prolongea jusqu’à Nyamongo. Il dirigea jusqu’en 1951, date de sa mort et sera remplacé par son fils, Katou Ndengue.
13- Nnanga Eboko
Chef emblématique de la Haute Sanaga pendant la période coloniale allemande. Pourchassé par les Yezum, il trouva refuge chez le chef Yebekanga à Nkondong (Koa), où il épousa l’une de ses filles. Installé définitivement dans ce village, il tenta de regagner ses terres perdues en levant une armée, mais se heurta à la solidarité des alliances entre chefs locaux qui rendaient toute conquête difficile.
Avec l’arrivée des Allemands, le chef Yebekanga, conscient de ses qualités de guerrier, l’envoya à leur rencontre. Nnanga Eboko joua alors habilement sa carte diplomatique. Il se présenta comme le chef et accueillit chaleureusement les colons, qui virent en lui un allié précieux
contre le rebelle Nguele Mendouga et pour la pacification de la région Maka. En récompense de sa loyauté, les Allemands lui confièrent un vaste territoire et le placèrent à la tête d’une importante chefferie, réalisant ainsi son rêve de devenir un grand chef.
Cependant, la chute des Allemands lors de la Première Guerre mondiale marqua un tournant brutal. Forcé à l’exil à Bata, en Guinée Équatoriale, il mourut loin de ses terres en 1920. Son souvenir demeure vivace, puisque le village de Nkondong fut rebaptisé en son honneur en 1956 sous le nom de Nnanga Eboko, devenant l’une des plus anciennes communes de la région du Centre.
14- Simon Etaba Okola
Chef des Eton d’Efok.
15- Mballa Eloumdem
Chef Ewondo de Nkolbisson (Yaoundé VII).
16- Ngo Evina
Chef des Mvélé
17-Albert Ateba Ebe
Chef des Eton de la zone Est.
18- Martin Abega Belinga
Après la période de règne de Charles Atangana de 1922 à 1943, Martin Abega Belinga lui a succédé de 1943 à 1960.
19- Awono Abana
Chefferie de Nkolkosé (Monatélé) chez les Eton.
20- Ze Mendouga
Chefferie d’Esse dans la Mefou-et-Afamba.
21- Onambele Mbazoa
Chefferie d’Ahala (Yaoundé III).
22- Mama Tsanga Manga
Chef des Eton de l’Ouest, Mama Tsanga est né vers 1850 dans le village de Mbat.
23- Pierre Atentsa
Chefferie de Nkolmak.
24- Mvilongo Nnomo Onguene
Chefferie du clan Mvog Nnam Nyeu chez les Eton.
25- Gilbert Essala
Chefferie de Nkolmesseng (Yaoundé IV).
2- Les chefs Ekang du Gabon
1- Ondo Nkoulou Beyeme (1850 – 1921)
Ondo Nkoulou Beyeme, surnommé Ondo Nkô Beyeme est le fondateur de la ville Bitam. Né vers 1850 au village de Mezala, futur site de la mairie de Bitam, il joua un rôle clé pendant la Première Guerre mondiale. Après avoir défié l’autorité allemande en 1912, ce qui lui valut plusieurs arrestations, il céda en 1915 aux Français, leur offrant l’emplacement stratégique de Bitam. Cette décision, prise alors que Français et Allemands s’affrontaient, permit l’installation de l’administration française.
Reconnu aussi pour ses dons exceptionnels de guérisseur, Ondo Nkoulou Beyeme était capable de traiter toutes sortes de maladies et d’intervenir contre les sortilèges. Il finit ses jours en exil en Guinée Espagnole (actuelle Guinée équatoriale), où il succomba à la variole vers 1921.
2- Edzeghe Oyane
Chef de Minvoul sous l’administration allemande.
3- Nzoghe Mba Toung
Chef de Mitzic sous l’administration allemande.
4- Ndong Mebane
Chef d’Oyem pendant la colonisation allemande.
Conclusion
Les chefs Ekang du Cameroun et du Gabon, figures majeures de la période coloniale, furent plongés dans l’un des contextes les plus tragiques de l’histoire de l’Afrique centrale. Certains furent des héros de la résistance, défiant les forces allemandes et françaises. D’autres, par stratégie, par pragmatisme ou par désir de prestige, acceptèrent de collaborer avec les colons, jouant ainsi un rôle dans l’administration indirecte mise en place par ces derniers.
Il est toutefois essentiel de rappeler que la société Ekang n’est pas, à l’origine, une société pyramidale dirigée par un chef centralisé. Les Ekang se considèrent comme des seigneurs, des hommes nobles pour qui un homme véritable ne reconnaît aucun chef au-dessus de lui. La seule autorité admise est celle du chef de famille, garant de l’ordre au sein de son lignage. Ainsi, la notion de chefferie imposée par les Allemands et les Français fut, et demeure encore aujourd’hui, largement contestée car elle est en décalage avec l’organisation sociale des Ekang.
Cet article n’a donc pas vocation à glorifier ces chefs Ekang du temps colonial, dont certaines chefferies continuent d’exister jusqu’à nos jours. Il s’inscrit avant tout dans une volonté de conservation et de transmission de la mémoire Ekang, indispensable pour éclairer l’histoire et la transmettre fidèlement aux générations futures.
Quelques photographies de Chefs Ekang cités

Essono Ela, premier Chef des Ewondo

Charles Atangana, Chef supérieur des Ewondo et des Bënë

Zogo Fouda Ngono, Chef supérieur des Menguisa

Mekoulou M’Obaa, Chef supérieur des Bulu

Foe Ndi Frédéric, Chef supérieur des Bënë

Foe Amougou et Martin Abega Belinga (futur Chef supérieur des Ewondo qui succéda à Charles Atangana)

A la Chefferie d’Efoulan le 13 Octobre 1940.
Cette photo historique réunissant les chefs supérieurs de la région Centre a été prise à l’occasion de la visite de De Gaulle à Yaoundé. Au premier plan de gauche à droite:
Simon Etaba Okola (Efok), Mballa Eloumdem (Nkolbisson), Ngo Evina (Mvélé), Charles Atangana (Ewondo et Bene), Albert Ateba Ebe (Eton Est), Martin Abega Belinga (Efoulan), Zoa Fouda Ngono (Menguissa). Au deuxième plan de gauche à droite:
Awono Abana (Nkolkosse), Ze Mendouga (Esse), Onambele Mbazoa (Ahala), André Amougou Anaba (Nkol Afamba, Bënë), Mama Tsanga Manga, Pierre Atentsa (Nkolmak), Mvilongo Nnomo Onguene (Mvog Nyamnyé), Gilbert Essala (Nkolmessig).
Source : Cameroun retro photos du passé
Notes de référence :
- Ondo Nkoulou Beyeme : Page Facebook Souvenirs Gabon, Michel_HAUGER
- Les Chefs Beti : Page Facebook Cameroun Retro Photos du passé
- Sources des images : Cameroun Retro Photos du passé, Souvenirs Gabon
- Histoire d’Oba’a Mbeti (https://www.degruyterbrill.com/document/doi/10.1515/9782763738444-016/pdf)
- Mémoire Online (https://www.memoireonline.com/09/12/6108/m_Nguelemendouka-et-la-colonisation-allemande2.html)