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Plongeons au cœur de l’histoire fascinante des Bënë auto-désignés « les nobles parmi les nobles », dont les exploits héroïques continuent de résonner à travers les âges. Nous vous invitons à découvrir l’un des derniers grands bâtisseurs Bënë : Amougou Baana, l’ancêtre-fondateur du clan Mvog Amougou.
En explorant les racines et l’héritage des Mvog Amougou, descendants directs d’Amougou Baana, nous honorons les noms et les actes de bravoure de ceux qui ont marqué leur époque. Connaître ces figures emblématiques, c’est non seulement comprendre notre passé, mais aussi puiser l’inspiration pour forger notre avenir. Leurs sacrifices et leur détermination ont permis à leurs descendants de prospérer, et il est important pour les générations futures de connaître les personnes dont elles descendent ou dont elles héritent les noms.
Les origines des Mvog Amougou
Dans l’article « La migration des Bënë et des Mvog Belinga », nous avons retracé l’histoire des Bënë, une lignée illustre et puissante dont l’ancêtre-fondateur est Nnë Bodo, connu aussi sous le nom d’Owono Kodé. Nnë Bodo, pilier central de cette noble famille, engendra sept fils : Belinga Amombo Kunu, l’aîné, suivi de Manga Amombo Kunu, Owono Tsogo, Mbarga Tsogo, Man Zë, et les jumeaux Ndi Mbi et Manga Amombo Ndzie. De la descendance de Mbarga Tsogo, naquit plus tard le clan Amougou, connu sous le nom de « Mvog Amougou ».
Mbarga Tsogo (MBATSOGO), patriarche respecté, fut père de quinze fils, dont Amougou Baana, né de son union avec Baana Wali, une noble Ewondo née vers 1743. Baana Wali, première épouse de Mbarga Tsogo, donna également naissance à trois autres fils : Zang Mengoumou Baana, né vers 1763 et ancêtre-fondateur des Mvog Zang ; Mbarga Baana, surnommé Nnom Kabat (le Bouc), né vers 1769 et ancêtre-fondateur des Mvog Nnomo ; et Zambo Baana, surnommé Evoundou (le Siffleur), né vers 1774.
Baana Wali était une figure emblématique, grande prêtresse du Mevungu, une confrérie ésotérique féminine. Elle possédait de puissants fétiches qui contribuaient à la prospérité du village et occupait une case distincte, faisant office d’avant-garde du village. Sa position influente et ses pouvoirs mystiques assuraient la protection et le bien-être de sa communauté.
Enfants, Amougou Baana et ses frères jouissaient d’une réputation de robustesse, souvent impliqués dans des altercations avec leurs demi-frères, ce qui avait fini par exaspérer leur père, Mbarga Tsogo.
Nnë Bodo décédé à Nkomo où il était établi avec sa famille, son fils Mbarga Tsogo émigra avec sa famille dont ses épouses, ses enfants, ses serviteurs et ses clients à Abang. Abang est situé dans la région du centre du Cameroun, dans la commune de Mbankomo, département de la Mefou-et-Akono. Abang se trouvait à proximité de Mbandoumou, où résidait son frère, Owono Tsogo.
Fondation du clan Mvog Amougou
Amougou Baana, chef influent Bënë né vers 1760 et fils du patriarche Mbarga Tsogo, émigra à Messeng, situé sur la route de Mfou où il s’établit. Son frère, Zambo Melounou, fondateur des Mvog Zambo, s’installa à environ cinq kilomètres de là, à Kamba, près de Nkilzok.
Amougou Baana est l’ancêtre-fondateur des Mvog Amougou. Il était marié à quinze femmes et père de nombreux enfants. Parmi ses descendants, on compte :
- Owono Mbodo, né vers 1785, tué à la guerre. Sa mère, Mbodo, fut la première épouse d’Amougou, désignée la « fondatrice ».
- Mbarga Messolo, né vers 1783. Fils d’Amougou Baana et de Messo Alima (Messolo), fille Kombé, née de Ango Mbimi et de Alima vers 1775. Elle fut l’épouse favorite d’Amougou Baana et hérita du puissant Mevungu de Baana Wali, sa belle-mère.
- Mbala Messolo, né vers 1793.
- Mbazoa, fille d’Amougou Baana et de Messolo, née vers 1796.
- Mbanda Messolo, né vers 1799.
- Manga Messolo, benjamin de chez Messolo, né vers 1802.
- Mbarga Edoa, né vers 1790.
- Mbarga Nsëk
- Mbaa Menye, fils de Menye, une des épouses d’Amougou.
- Amougou Menye, né vers 1795.
- Mbarga Menye, né en 1813.
- Nkusëgë Menye, fondateur des Mvog Nku.
- Ngosso Mimboué, né vers 1802, fils de Mimboué, une jeune épouse d’Amougou.
- Bessa Ndzie, né vers 1805.
- Foe Ndene, fondateur du clan Mvog Mvondo Foe, né vers 1783.
- Onanda (Onana Eda).
- Mbarga Eda.
- Ndi Eda, né vers 1791.
- Owono Mekamesa, fils de Mekamessa, servante et sage-femme chez Amougou.
- Akwa Mekamesa
- Mbarga Mekamesa
Amougou Baana était considéré comme très riche. Chez les Ekang, la richesse se mesurait au nombre de femmes, d’enfants, de serviteurs et de clients, faisant de vous un véritable chef de famille. Posséder de nombreuses épouses impliquait d’avoir des moyens de les doter, car dans les temps anciens, les femmes étaient rares et réservées à ceux qui avaient les moyens matériels et la bravoure nécessaires. Se marier pour un homme était un processus ardu, il fallait préalablement qu’il termine ses initiations qui étaient très longues, après quoi il était circoncis et tatoué. Son père décidait enfin s’il était apte à prendre une épouse, de ce fait, les hommes se mariaient donc tardivement.
Amougou Baana, vie et mort d’un grand chef
Amougou Baana avait quinze femmes, une vingtaine d’enfants, et de nombreux serviteurs. Ces derniers étaient souvent des prisonniers capturés au cours de ses nombreuses guerres victorieuses. En plus de sa bravoure militaire, il comptait également de nombreux « clients » qui cherchaient sa protection. C’est cette combinaison de succès militaires, de nombreuses épouses et enfants, ainsi que le nombre de personnes sous sa protection, qui le rendait respectable et très riche.
Sa mère, Baana Wali, jouait un rôle crucial dans sa puissance. Grande prêtresse de Mevungu, elle menait des batailles mystiques pour protéger son fils et sa famille.
En temps de guerre, Amougou Baana portait une coiffe ornée de plumes rouges de perroquet, symbole des ennemis tués. Seuls les « vrais hommes » avaient le droit de porter ces plumes, signifiant qu’ils avaient vaincu de puissants adversaires.
Philippe Laburthe-Tolra, dans son roman « Le Tombeau du Soleil » (récits transmis par M. Bala Owono et M. Kosmas Amougou), raconte la mort d’Amougou Baana : le grand chef succomba aux blessures infligées par un buffle lors d’une partie de chasse. Son fils, Mbala Messolo, futur grand chef des Mvog Amougou, et son frère, Zang Mengoumou Baana, étaient présents. Amougou Baana fut grièvement blessé et s’évanouit. Il ne mourut pas sur le champ, mais rendit l’âme au village après avoir prononcé ses dernières paroles et bénédictions.
Amougou Baana avait pressenti sa mort bien avant. Selon le roman « Le tombeau du soleil », il aurait reçu des signes des oracles plusieurs mois avant sa mort, le rendant anxieux sans en comprendre la cause exacte. Il consultait fréquemment les oracles en forêt pour s’assurer du bien-être de sa famille. Dans son agonie, il attribua sa mort au So, une transgression à un interdit qui n’a jamais été révélé. Le So est impitoyable, et toute violation entraîne une mort par jets de sang.
Les cérémonies funéraires d’Amougou Baana durèrent plusieurs jours, à la hauteur de son rang. Ses frères, maîtres-initiateurs au So, encadrèrent les rites d’expiation (Tso) pour libérer leurs familles de la malédiction.
Amougou Baana n’a pas connu l’arrivée des Occidentaux. Il fut l’un des derniers redoutables chefs Bënë, héritant du courage de son grand-père, l’illustre Nnë Bodo (Owono Kodé, Amougou Mewali) , désigné le « Sauveur des Hommes ».
Carte des mouvements migratoires des Bënë et des Mvog Amougou
L’héritage du Clan après Amougou Baana
Philippe Laburthe-Tolra, dans son ouvrage « Les Seigneurs de la Forêt », rapporte des témoignages de la lignée des Mvog Amougou. Selon ces récits, Mbala Messolo, l’héritier du clan, s’établit à Mbandoumou (commune de Bikok) vers 1815, alors âgé d’une vingtaine d’années. Conquérant, Mbala Messolo fut le pionnier de l’ouverture d’une route commerciale menant jusqu’aux Occidentaux, lesquels commerçaient avec les Ngumba sur les côtes de l’océan Atlantique, au sud du Cameroun. Il exerçait un contrôle exclusif sur cette route, négociant avec des intermédiaires Ngumba et fournissant de l’ivoire et du caoutchouc en échange de vieux fusils, de pagnes et de sel (Akouma) apportés par les Anglais installés à Grand Batanga.
Laburthe-Tolra révèle également dans « Le Tombeau du Soleil » que c’est par l’entremise de Mbala Messolo que le rite Melan fut introduit chez les Bëti. Mbala s’initia au Melan chez les Ngumba (Mvumbo) et apporta le rite dans le clan.
La mort tragique de Mbala Messolo survint en pleine forêt, près d’Ebolowa, lors d’un de ses voyages vers Grand Batanga, accompagné de sa suite. Il fut tué par les guerriers Bulu. Sa mort déclencha une série de guerres fratricides entre les Bënë et les Bulu. Selon une version des faits, son corps ne fut jamais retrouvé, et le lieu de sa chute, Ebolowa (signifiant « chimpanzé pourri » en langue locale), en porte le nom. Une autre version indique qu’il serait tombé près d’une rivière, qui fut appelée Osoé Mbala, proche d’Essë, et qu’il aurait été transporté en territoire Ngumba chez ses fidèles amis et alliés, où il fut enterré.
Un élément important rapporté dans « Le Tombeau du Soleil », bien que ce soit un roman, qui ne doit pas être totalement rejeté, mentionne qu’Amougou Baana avait laissé un interdit strict : ne jamais franchir le fleuve noir ou le Nyong. Après maintes hésitations, Mbala Messolo brava cet interdit pour aller en pays Ngumba afin d’obtenir des fusils et du sel. Cette transgression scandalisait ses oncles « paternels » et ses frères. Pour certains, il s’agissait de jalousie ; pour d’autres, ils percevaient les dangers de cette violation. Néanmoins, tous profitaient des richesses accumulées par Mbala.
Après la mort de Mbala Messolo, son fils, le chef Zambo Nsa, hérita de son titre et du contrôle des routes commerciales précoloniales. Zambo Nsa rencontra l’Allemand Kund en 1887, il était alors très vieux. Zambo Nsa fut désigné « Roi des Bënë ».
Le devoir de mémoire
Les contacts avec les Occidentaux, marqués par l’esclavage et l’échange de richesses (pagnes, tabac, et vieux fusils napoléoniens de la bataille de Waterloo) contre de l’ivoire et du caoutchouc, ont contribué à la destruction du tissu social des peuples locaux qu’ils approchaient. Les premiers furent les Anglais, suivis par les Allemands qui, avec la colonisation, apportèrent de mauvais traitements. Puis, les Français vinrent avec une cruauté et une barbarie encore plus grande, forçant la conversion au christianisme, interdisant les cultes traditionnels et dépouillant les objets de culte aujourd’hui présentés dans des musées en Occident. Les maîtres des lieux furent décapités, assassinés, et les populations, totalement déshumanisées.
Conclusion
Le devoir de mémoire à travers les récits comme l’histoire du chef Amougou Baana, nous rappelle l’importance de la préservation de notre histoire et notre patrimoine culturel et nous offrent un aperçu précieux de la résilience et de la richesse de nos ancêtres. La transmission de ces histoires est essentielle pour honorer nos racines et apprendre des leçons du passé. La connaissance et la préservation de notre patrimoine culturel sont des actes de résistance et de célébration de notre identité collective.
Notes de référence :
- Le Tombeau du Soleil, Chronique des Bendzo par Philippe Laburthe-Tolra (récits transmis par M. Bala Owono et M. Kosmas Amougou)
- Les Seigneurs de la forêt, Essai sur le passé historique, l’organisation sociale et les normes éthiques des anciens Beti du Cameroun, Philippe Laburthe-Tolra, informateurs : M. Kosmas Amougou, M.François Manga, M. André Amougou, M. Lukas Atangana, M. Bala Owono.