Le mot « EKANG » est de plus en plus présent sur les réseaux sociaux. Nombreux sont ceux qui, n’appartenant pas au peuple Fang Beti, pensent que ce terme est récent. Ils se demandent d’où vient ce mot et pourquoi il est utilisé de manière récurrente aujourd’hui. Cet article vise à répondre à ces questions en éclairant les lecteurs sur ce terme, en s’appuyant sur la cosmogonie du peuple Ekang ainsi que sur les travaux de recherche de leurs descendants.
Signification étymologique du mot EKANG
Selon Venant Débomame Zue Ntougou dans son ouvrage « Génération Ekang-Gabon, peuple-société-culture des Fang anciens », Ekang désigne plusieurs choses et prend différentes formes en changeant de suffixes tout en gardant sa racine.
À la page 24 de son ouvrage, il écrit :
- Ekang : Désigne le fruit du palmier, la palme qui porte des noix produisant l’huile de palme. Les piquants de cette palme sont douloureux pouvant déformer l’os. Ce dernier aspect se retrouve dans ce peuple, connu pour son caractère doux mais aux réactions très violentes, illustré par l’expression « Moan Ekang a në nget » (Un Ekang est impitoyable).
- Nkang : Remplacer le E par N, cela signifie la racine, celui qui écrit et celui qui croit. Nkang désigne le croyant.
- Nkan : Sans le G, désigne le dessinateur ou le bâtisseur.
Le Dr. Cyriaque Akomo-Zoghe, Enseignant-Chercheur à Libreville, dans la préface de « Génération Ekang-Gabon », dit qu’Ekang désigne « Lettre et Peintre ». Les Ekang vivaient essentiellement dans les villes d’Hamata, de Kôm Ombo et d’Assouan au Sud-Est de l’Egypte, ils furent initiés aux secrets de l’immortalité de l’Homme par le truchement du rituel d’intégration et de séparation. Fondées par les Ekang anciens, ces trois villes devinrent des lieux dans lesquels ils avaient déployé toute leur érudition et cognition dans la transcription et l’enseignement de l’écriture hiéroglyphique, devenant, ainsi, des maîtres-scribes. (Pages 6,7).
- Akang : Remplacer le E par A, cela signifie louer ou adorer. Akang désigne aussi le grenier (l’akâng désigne le grenier au-dessus du foyer dans une cuisine de femme destiné à conserver les denrées périssables comme piment, viande, arachide.., ndlr), symbole de la force intérieure et physique de ce peuple, notamment par rapport à la femme, dont on dit qu’elle a un cœur plus dur qu’un roc, raison pour laquelle les Ekang lui accordent une place importante, cette dernière n’est visible que lorsque besoin se fait sentir.
- Okang : Remplacer le E par O, le mot devient OKANG qui désigne l’arête de poisson, pour dire qu’il faut s’assurer que le chemin est bien tracé avant de s’aventurer. Okang est aussi employé pour désigner la traversée inhabitée entre deux villages.
A la question « Que veut dire Ekang ? », on pourrait répondre en citant la conclusion de Venant Débomane : le terme Ekang désigne la racine de la spiritualité plantaire depuis l’origine.
Photo de Venant Débomame
Un peuple EKANG existe-t-il ?
La Dynastie Ekang Nna : Genèse et Héritage
Le livre « Du Mvett, Essai sur la dynastie Ekang Nna » de Daniel Assoumou nous plonge dans l’univers mythique de la création du monde selon les Ekang (lire l’article Cosmogonie de la création du monde selon les Ekang). La cosmogonie de ce peuple nous présente Mebeghe-Me-Mkwa, le cinquième esprit de la création, engendré par Mkwa. Ce dernier donna naissance à quatre esprits : Zame Ye Mebegue (le Dieu créateur), Kare Mebegue, Ndong Mebegue, et Zong Mebegue. Kare Mebegue engendra Ola Kare, qui à son tour donna naissance à Zame Ola. Zame Ola engendra Otse Zame, qui engendra à son tour Nna Otse, qui enfin engendra Ekang Nna, le patriarche. C’est dans le Mvett, la Parole sacrée, que le nom EKANG apparaît pour la première fois, porté par le Patriarche Ekang Nna.
La Dynastie du Patriarche Ekang Nna
Ekang Nna, également connu sous le nom d’Etsang Nna, eut neuf fils et une fille. Parmi eux, Evini EKANG, le grand-père d’Akoma Mba, et Ngame EKANG, son dernier fils et héritier, se distinguent. Les autres enfants, Osse EKANG, Nguema EKANG, Oyono EKANG, Mboungoa EKANG, son unique fille Okomo EKANG (également appelée Ada Ngono, mère du légendaire Oyono Ada Ngono, celui à qui le Mvett fut révélé), Nkomo EKANG, Ango EKANG et Mengono EKANG, composent cette dynastie.
L’Héritage et les Conflits
Ekang Nna résidait dans le village Mboulamiame. Avant de mourir, il transmit ses pouvoirs, ses secrets et ses forces à son plus jeune fils Ngame EKANG, suscitant la jalousie de ses frères. Il fut poussé à l’exil à cause des persécutions familiales orchestrées par Aloum Ndong Minko, la première épouse de Ekang Nna, fille de Minko Mi Ella et mère de Evini EKANG, le fils ainé. Ngame EKANG dont la mère s’appelle Nkene Ndong Minkouna, dernière épouse du Patriarche Ekang Nna, trouva refuge à Bidou Bindzeme dans le Sud, sans laisser de trace.
La Migration et la Fondation d’Engong
Evini Ekang, le fils aîné, eut un fils nommé Mba Evini, père du célèbre Akoma Mba. Mba Evini, en quittant Obèè avec sa suite, traversa le mont Odok, franchit le fleuve Dzam Anen (la grande affaire) et, près d’une forêt fertile, fonda le village d’Engong Zok Mebegue chez Mba Evini Ekang, connu sous le nom de ENGONG ou ENGONG ZOK MEBEGUE ME MBA.
Engong : Carrefour des Palabres et Siège des Immortels
Engong Zok Mebegue Me Mba ou le carrefour des palabres se fait aussi désigner : l’olivier dressé sur le mont que toutes les tribus/les nations, voient. Les oncles de Mba Evini dont Nguema EKANG, Mengono EKANG, Nkomo EKANG, Mboungoa EKANG, Oyono EKANG, Ango EKANG et sa tante Okomo EKANG, le rejoignirent à Engong, où ils vécurent leurs derniers jours avant de rejoindre le pays des fantômes où ils continuent d’agir en faveur de la descendance d’Ekang Nna.
Aujourd’hui, la planète Engong est gardée par Akoma Mba, fils de Mba Evini, et Chef suprême d’Engong. Autrefois simple mortel, Akoma Mba, découvrit le secret de l’immortalité qu’il transmit aux habitants d’Engong, les élevant au rang d’Immortels.
À travers la lecture du Mvett, les Ekang se révèlent comme étant le peuple des Immortels, résidant à Engong sous la gouvernance d’Akoma Mba, descendant direct du Patriarche Ekang Nna.
La réalité EKANG d’aujourd’hui
L’épopée : Géants venus des Cieux
Selon Eno Belinga dans « L’épopée camerounaise Mvet, Mone blum ou l’homme bleu », les Ekang désignent « les venus des cieux », une descendance divine, qui se déplacent dans d’étranges machines qui font entendre derrière elles, un bruit de tonnerre. Ils ont une grande facilité de déplacement dans les airs, d’une planète à une autre, de la Terre vers la Lune ou le Soleil.
Selon J.Binet dans son livre « Société de danse chez les Fang du Gabon » : les Mvetistes (Conteurs Mvett) présentent en général les Ekang comme les Ancêtres des Fang. Mais la parenté n’est pas simple. Ces Ekang vivaient loin au Nord. C’étaient bien des Noirs, mais c’étaient des géants ». Cette description trouve écho chez Eno Belinga qui parle également d’une « race des géants ».
Un Héritage culturel transcendant les âges
Le mot « Ekang » résonne à travers les âges, notamment grâce au chant martial « Ekang Bësë Biso Elang Elang », entonné lors des retraits de deuil dans les villages Ekang du Cameroun. Ce chant immémorial, transmis de père en fils, est bien connu des Beti et Bulu, même par ceux qui n’ont jamais écouté le Mvett.
Dans le domaine de la musique des années 70-80, le musicien camerounais Messi Martin évoquait déjà le retour des Ekang dans son titre « Super Ekang », moulé dans un vieux rythme appelé « L’Ekang », qui est l’ancêtre des rythmes contemporains du pays Beti. De même, il y a eu Amougou Mballa avec sa chanson « Ekang Mbolo », et dans les années 80-90, le groupe camerounais Zangalewa a produit le titre « Ekang », devenu un hymne de l’armée camerounaise. En 2013, Abanda Man Ekang et son orchestre ont produit un titre intitulé « Ekang », appelant tous les Ekang à travers le tam-tam d’appel.
Briser les frontières et fonder une Nation
Grâce à la transmission intergénérationnelle, l’héritage des Ekang a perduré. Aujourd’hui, les descendants des Fang Beti, éclatés entre le Cameroun, le Gabon, la Guinée Équatoriale et la République du Congo, ont choisi de transcender les frontières coloniales. Ils adoptent fièrement le nom Ekang, renouant ainsi avec leurs ancêtres et affirmant leur identité commune.
Pourquoi le mot Ekang est utilisé aujourd’hui de façon récurrente ?
La Renaissance de l’Unité
En 2010, un mouvement a émergé sur les réseaux sociaux, prônant la réunification des peuples Fang Beti des pays Cameroun, Gabon, Guinée Équatoriale et Congo. Cette initiative trouve ses racines dans les conclusions du Congrès de Mitzic dans le Nord du Gabon, en 1947, qui prescrivait la création de l’UNIFANG, une nation Fang au-delà des frontières coloniales.
Ce mouvement a ressuscité le nom Ekang pour rassembler sous une même bannière les peuples aujourd’hui appelés Fang Beti et apparentés. Ces peuples, séparés par des frontières coloniales, se trouvent souvent confrontés à des obstacles administratifs tels que la nécessité de passeports et de visas pour se rendre visite, entraînant des refoulements aux frontières des pays voisins.
Une Conscience Collective
Face à ces défis, les fils et filles de ce peuple ont décidé de s’unir physiquement et spirituellement. Cette union vise à la reconstitution de leur histoire, à la consolidation des hameaux généalogiques, et à la préservation de leur socle culturel et spirituel. Le retour à leurs racines, à la Mère, est perçu comme essentiel pour se projeter dans le futur.
La Mère symbolique, gardienne de l’héritage précieux, se prépare à léguer cet héritage à ses enfants. Il est donc temps pour eux de revenir à la Mère, à la matrice, et de s’unir pour former une entité unique. Cette unité leur permettra de retrouver leur force et leur héritage, et de renforcer leur identité commune.
Ensemble, ces peuples réaffirment leur héritage ancestral, leur culture et leurs traditions, se préparant à un avenir où leur unité et leur histoire commune seront les piliers de leur force collective.
Conclusion
Pour conclure, les propos d’Eno Belinga résument parfaitement la mission des Ekang :
Le Mvett laisse entendre que le paradis perdu par nos Ancêtres sera retrouvé sous forme d’un Age d’or à conquérir par les générations futures aidées en cela par toutes les générations qui les auront précédées.
Notes de référence
- « Génération Ekang-Gabon, peuple-société-culture des Fang anciens » de Venant Débomame.
- « Du Mvett, Essai sur la dynastie Ekang Nna » de Daniel Assoumou Ndoutoume.
- « 1er Congrès International Fang de Mitzic-Gabon (1947) » de Cyriaque Simon-Pierre AKOMO-ZOGHE.
- « L’épopée camerounaise Mvet, Mone blum ou l’homme bleu » de Eno Belinga.
- « Société de danse chez les Fang du Gabon » de J. Binet.
- La photo de couverture de l’article est celle de Daniel Assoumou Ndoutoume tenant « Nna Otse », l’ancêtre de la forme actuelle du mvett, appelé au Brésil et en Angola « Berimbau ».