« Mes albums sont des tableaux de rires et de pleurs » Léa Jiin Messomo, Artiste.
Lea Jiin Messomo est d’origine camerounaise. Elle est née à Mbalmayo dans la région centre du Cameroun, mais ses parents sont originaires du département de la Lékie, arrondissement de Sa’a. Elle est une Menguissa du clan Mbokindjom de père et Eton du clan Mendum par sa mère. Son village s’appelle Nyong Messam. Après l’obtention d’un baccalauréat en Comptabilité et gestion des entreprises, elle décide de faire de la musique sa profession, car l’obtention du baccalauréat était la condition que sa mère lui avait donnée pour être enfin libre de se consacrer à sa passion. Dans les lignes qui vont suivre, vous découvrirez une des dernières cantatrices des musiques traditionnelles Eton/Menguisa du Cameroun.
Léa Jiin Messomo, parlez-nous de vos débuts en musique…
En classe de 6ième au lycée, je flirtais déjà avec la musique et je m’étais inscrite au club de musique du lycée, c’était la seule activité extrascolaire qui me plaisait. Ma mère l’a découvert et m’a sommé d’arrêter de fréquenter le club de musique m’obligeant à me concentrer à mes études. Après l’obtention de mon baccalauréat, j’ai repris la musique. J’ai commencé à apprendre à chanter de façon professionnelle, je me rendais dans le célèbre cabaret Carrousel à Yaoundé alors tenu par un grand-frère, le dénommé Achille Mbanga pour écouter les grands noms de la musique Bikutsi. C’est dans ce cabaret que je fis la rencontre de l’icône de la musique Bikutsi Mbarga Soukous de regrettée mémoire qui, est celui qui va réveiller en moi l’artiste endormie que j’étais. De cette rencontre naîtra en 2009 mon tout premier album intitulé « Bang Bang ».
On dit de vous que vous êtes une cantatrice des musiques traditionnelles, pourquoi les gens vous surnomment « Cantatrice » ?
À mon avis, cette dénomination vient du fait de ma façon d’aborder mes thèmes musicaux. J’écris mes musiques dans un esprit de poèmes et du conte. À travers ma musique, je raconte des faits de société, mais aussi mes propres histoires personnelles. J’essaye de faire passer des doléances et marquer les esprits en essayant de pérenniser certains aspects de notre culture. Un choix risqué, mais aussi pénible, car, aujourd’hui lorsqu’on a une musique aux colorations culturelles et traditionnelle, on est un peu vu comme un ou une artiste « has been ». Je pense que c’est ce qui me vaut le titre de « dernière Cantatrice » qui veut sûrement faire le lien avec la façon de chanter des Anciennes qui chantaient dans les villages aux temps lointains. Rires.
Depuis des années, vous arborez toujours des tenues et des accessoires traditionnels faits avec les éléments de nos forêts. Quel message voulez-vous véhiculer ?
J’arbore des tenues qui renvoient vers une origine ancestrale et qui rappellent une certaine aire culturelle dans le but de magnifier et servir la nature et ma culture d’une part, et d’autre part, d’inviter la jeunesse qui semble désormais sans repère, à cette culture qui se meurt.
Vous avez 3 albums à votre actif, quels sont les thèmes que vous abordez dans vos différents albums et pourquoi le choix de ces thèmes ?
Mes albums sont le reflet de ma personne intérieure. Je relaie des cris des « sans bouches » dans le but d’apaiser. J’essaye de réparer ou de trouver des solutions aux douleurs par exemple, mes titres suivants : « Bang bang » je décris les pleurs de la Veuve Africaine, « Madjebi» je parle des pleurs de la mère désespérée et enfin, « Querelles » où je parle de mes aventures, mes pleurs, mes peines, les douleurs de dame nature… En résumé, mes albums sont des tableaux de rires ou de pleurs.
Quelles ont été vos inspirations dans la musique en général ?
Dans mon enfance, j’ai beaucoup aimé les contes et leur mise en scène au village selon un événement ou une situation. J’ai également aimé les Berceuses qui étaient chantées au village et c’est de ces contes et berceuses que je m’inspire principalement. Dans ma jeunesse, j’ai été fascinée par Whitney Houston qui lorsqu’elle chantait, on avait l’impression qu’elle était en transe, elle m’a beaucoup inspiré. Comme autres sources d’inspiration, je peux citer la diva camerounaise Annie Anzouer qui pour moi est une « Whitney Houston » à la Camerounaise. Je peux également citer la grande Sally Nyolo qui est celle qui m’a inspiré à chanter dans ma propre langue, la langue Eton qui est aussi sa langue. Enfin, j’ai eu le privilège d’écouter la plus grande épopée du Mvet de ma Lékié natale « Ndjana Nga Zogo » reprise par le célèbre Mvetiste Ekang, Papa Andjeng Etaba alias « Pantaléon Mvet ». Cette épopée m’a permis la connexion aux sources ancestrales du chant Eton/Menguisa.
Comment appelle-t-on le style de musique que vous faites, est-ce une fusion de Minken-Mi bon et du jazzy ?
Je fais du classique-traditionnel de la Lékie. En réalité, tout ou presque tourne autour du « nkeng-mbon » (un rythme propre à la Lékié, ndlr). Toutefois, la nature m’a gratifié d’une ouverture d’esprit qui me permet de faire des balades à volonté lors de mes représentations scéniques et parfois d’aucuns entendent un fond de jazz.
En février 2024, vous avez été sollicité pour dire des contes pour une émission, pourrez-vous nous en dire plus sur ce projet ?
En effet, j’ai été contacté par un jeune frère très lié à la culture qui recherchait un conteur ayant assez de ressources et qui était disponible à venir enregistrer des contes. Nous avons pu finalement lancer le projet en février. Ce projet me tenait à cœur, car c’était ma participation à « dire », à « conter » la sagesse ancestrale pour un large public en servant la culture.
J’ai fait les contes en Français pour la première série. Des contes en langue Eton (une langue Ekang, ndlr) sont prévus pour les prochaines séries.
Lorsque on écoute votre timbre vocal et vos textes, plusieurs personnes estiment que vous êtes capable de chanter du MVET ce qui est rare pour une femme, y avez-vous déjà pensé ?
Oui, bien de fois, on me l’a signifié. Par ailleurs, j’ai fait un titre avec du Mendjang (balafons traditionnels, ndlr) et pour information, j’ai une chanson typique dans le rythme Mvet qui est en attente de production. Le Mvet est mon instrument préféré…J’en rêve beaucoup. J’irais jusqu’à vous dire que c’est pour le servir que je multiplie mes expériences. Rires… On finira certainement par devenir copains.
Étant une porte-parole de notre culture, que pensez-vous de l’union des Ekang du Cameroun, Gabon et Guinée-Équatoriale ?
L’union des Ekang de ces trois pays est possible, car nous demeurons des frères. Seulement, elle sera difficile sans une volonté commune qui aura pour objectif de bannir le tribalisme interne à ce groupe ethnique qui comporte plusieurs tribus et clans, mais aussi, bannir l’égoïsme. Pour ma part, cela peut se faire à travers la création d’une synergie des différents groupes Ekang installés dans ces trois pays à travers la mise en place des projets communs et la création d’un idéal commun. Il faut des volontés de part et d’autre.
Je termine en remerciant l’association Savoir-Faire Ekang qui est un rêve émanant d’une volonté lointaine pour nous, artistes des musiques traditionnelles et pour le peuple Beti en général. Je félicite et j’encourage à plus de maternité envers la frêle tête sur laquelle est posée cette vaste calebasse. Que nos Ancêtres vous bénissent, qu’ils fructifient vos avoirs et emplissent votre volonté. Qu’ils soient vos oreillers et votre force afin de ne jamais chavirer. J’encourage également toutes les autres nobles initiatives à qui je souhaite l’ouverture des portes, l’ouverture des bonnes portes.
Merci.
Interview de Léa Jiin Messomo retranscrite par Félix Atemengue, Yaoundé, Cameroun