Sa Majesté Marie-Louise Zoa , une femme Chef traditionnel au Cameroun
Portrait d’une femme Chef traditionnel au Cameroun
C’est en 1982 que la jeune Marie-Louise Zoa alors âgée de 20 ans seulement, est désignée par son père pour présider aux destinées d’Okoa, village situé dans le département de la Mefou Afamba, à quelques encablures de la cité universitaire de Soa. « Mon grand-père était d’abord chef, après il y a eu le frère aîné de mon père, ensuite mon père. Quatre ans avant sa mort, il m’a laissé le témoin », relate la sexagénaire. Dans un environnement patriarcal, l’expérimentée cheffe de 3e degré se souvient avoir été prise de cours par le choix de son géniteur, lequel l’avait préférée à ses frères pour lui succéder sur le trône d’Okoa. « Moi-même, j’étais étonnée de la décision de mon père. C’était un visionnaire qui avait déjà dépassé les débats sur la place de second plan de la femme. Les parents sont des dieux qui peuvent lire le futur de leurs enfants, c’est en grandissant qu’on comprend leurs actions », confie-t-elle.
Okoa est une localité cosmopolite. Selon l’histoire, du temps de la colonisation, de nombreux esclaves étaient déportés à cet endroit pour travailler dans les plantations. On y retrouve les autochtones Etenga, mais également les Maka’a, les Nanga Eboko ou encore les Ndong, tous devenus au fil des années, des enfants à part entière de cette contrée. La mémoire de ce village et de ses peuples, est incarnée par Sa Majesté Marie-Louise Zoa, une dame sexagénaire, mais dont l’énergie et la vigueur n’ont rien à envier à une adolescente. Au moment où nous la rencontrons, Mama Sa majesté comme l’appellent affectueusement ses sujets, s’attèle à des travaux de réfection de son domicile. Pour cause, le nouveau sous-préfet de son arrondissement fera incessamment une descente en ces lieux dans le cadre de l’habituelle tournée de prise de contact. « Je suis auxiliaire d’administration. Mon rôle est de servir de courroie de transmission entre les populations et l’administration. Pour un premier contact, nous devons accueillir le chef de terre avec tous les honneurs qui lui sont dus. Cela rentre aussi dans la coutume Ekang de bien accueillir un étranger », explique celle qui se désolidarise des conflits réguliers entre certains de ses homologues et les autorités administratives. Pour elle, les deux entités doivent évoluer en parfaite harmonie.
Le stylisme made in Ekang
Les peuples de la forêt ont une richesse culturelle indéniable qui au gré de la mondialisation, se meurt à petit feu. Fort de cet état de choses, Cheffe Marie-Louise Zoa a entrepris de valoriser le savoir ancestral légué par ses aïeuls. Ainsi, Sa majesté s’est lancée dans la collecte des objets anciens à l’instar des arbalètes, des statuettes et autres reliques pour la plupart, vieux de plusieurs siècles. Son objectif, révèle-t-elle, est de bâtir dans un futur proche, « un musée » dans sa localité. Toujours dans le sens de mettre en lumière sa culture, Marie-Louise Zoa ne manque pas de doigté. Elle tient depuis de nombreuses années, un atelier de couture dédié aux tenues traditionnelles Ekang. A travers le Cameroun, sa notoriété de styliste a conquis les cœurs et les commandes n’en finissent plus de pleuvoir. Le « nkunkuma » d’Okoa est considérée par ses pairs comme la référence en ce qui concerne la réalisation des vêtements de notabilité dans la zone Ekang. La couture de raphia et de l’obom (écorce issue d’une essence de bois rare) n’ont plus de secret pour elle. « On quitte de loin, on sait que c’est ici qu’on fabrique les tenues de chefs authentiques. Je suis venu prendre la mienne, et je ne suis pas déçu ; c’est la référence », s’extasie M. Nkoulou Onona, Chef de bloc numéro 2 du village Ntouessong.
Ce dernier est venu comme plusieurs de ses confrères qui affluent ici chaque jour, acquérir une tenue cousue de main de maître par Marie-Louise Zoa.
« Pieds dans l’eau »
Pour « Faire sortir Okoa de l’anonymat », la cheffe traditionnelle ne lésine pas sur les moyens. En sus de son activité de styliste, Sa Majesté Marie-Louise Zoa a bâti sur le fleuve Mefou qui longe sa localité, « Pieds dans l’eau » : un site écotouristique qui attire de plus en plus du monde.
Les pieds immergés dans l’eau, les touristes qui s’y rendent peuvent consommer le très apprécié « ndomba » (plat Ekang à base de poisson d’eau douce cuit à l’étouffé), profiter d’un paysage sylvestre, rythmé par les gazouillis d’oiseaux qui transportent le corps et l’esprit loin de l’atmosphère bruyant de nos villes, pour le reposer dans un paradis naturel qui n’est pas sans rappeler l’authentique beauté des villages en zone équatoriale.
Cette autre œuvre est à mettre au crédit de Marie-Louise Zoa, qui a fait de sa contrée, une destination touristique courue. « Nous avons entendu parler de Pieds dans l’eau à l’occasion d’une rencontre d’anciens élèves de notre lycée, nous avons opté pour ce site et je dois dire qu’on n’est pas déçu », rapporte Derrick, un visiteur qui conduit en ces lieux, une délégation de 12 personnes.
Le dynamisme et les combats de Sa Majesté Zoa se sont propagés bien au-delà de son Okoa natal. A l’occasion du festival Mvet-Oyeng qui s’est déroulé en 2019 dans la ville d’Ambam, la femme de 62 ans avait remporté le prix de la meilleure participation. Pour autant, elle ne dort pas sur ses lauriers. Son sempiternel cheval de bataille est de redoubler d’ardeur chaque jour et mettre en avant le savoir-faire Ekang tant que le « très haut lui renouvèle son souffle vie ».
Cédric Mimfoumou Zambo, Rédacteur en Chef de Savoir-Faire Ekang, Yaoundé, Cameroun
Source photo de couverture Femme chef traditionnel au Cameroun : African Roots and Heritage Foundation
https://africanrootsandheritagefoundation.org/multi-media-videos-and-promotions/paramount-chief-marie-louise-zoa-of-soa-cameroon
Autre article suggéré : A la découverte du quartier Odza, un village devenu une banlieue huppée de Yaoundé