Vivre avec nos défunts dans la tradition Fang
Du Gabon en passant par le grand Nord (Mitzic, Oyem et Bitam) à Ambam au sud du Cameroun, le paysage, les fleuves, la configuration des villages ainsi que leur architecture faite de bambous, de briques de terre battue ou de béton, tradition et modernité cohabitent harmonieusement entre deux générations s’exclamant tous par un « Ma dzo na ! » Dont seul l’accent varie d’un département à un autre rappelant qu’ils viennent tous d’ODZAMBOGA. En effet, lorsqu’on fait le voyage du Gabon au Cameroun par voie terrestre en passant par la ville aux trois frontières Kyé-Ossi, on se rend très vite compte que les us et les coutumes sont les mêmes que l’on soit au Gabon ou au Cameroun, seuls les panneaux de signalisation d’une frontière à une autre nous indiquent que nous avons changé de pays ou de département, car sans cela, nous pourrions nous poser la question de savoir où s’arrête le peuple gabonais et ou commence le peuple camerounais.
Dans cette homogénéité entre les deux pays, ce qui retient notre attention, c’est bien sur la place que les morts occupent dans l’imaginaire du peuple que l’on rencontre tout au long de cet espace géographique. En effet, aussi bien dans les villages Ekang du Gabon que ceux du sud Cameroun, un phénomène assez inhabituel sur le plan de l’aménagement retient l’attention. C’est celui des tombes qui au lieu d’être derrière les maisons ou dans des cimetières retirés de l’espace de vie sont fièrement exposées dans la cour, devant les maisons confirmant ce refrain de l’écrivain Sénégalais Birago DIOP : « Les morts ne sont pas morts… » Et donnant cette impression que les morts et les vivants cohabitent dans une harmonie sacrée. Tout au long du trajet, on peut apercevoir des enfants y jouant à Abang Essadone (en français, on les appelle « les claquettes »), des hommes assemblés buvants du vin de palme à Ambam ou alors des adolescents tranquillement assis sur l’une d’elles et manipulant amoureusement leur smartphone à une heure assez avancée de la nuit à Mbalmayo. Ce constat nous emmène alors à nous interroger sur la place que les morts occupent dans l’imaginaire Ekang dans les rapports que les vivants entretiennent avec les défunts tout en nous replongeant aux origines des rites et croyances du peuple Ekang avec l’histoire de l’ancêtre Nane NGOH, matriarche du culte Melan qui sentant sa mort venir, fit à ses enfants la promesse d’être après sa mort un intermédiaire entre Dieu et les vivants et d’intercéder pour eux.
Généralement, ces tombes que l’on retrouve au milieu des habitations appartiennent aux chefs de lignages, des chefs de famille et aux patriarches ou matriarches qui après la mort ont acquis le statut de saint tout comme les défunts de l’Église catholique qui après être canonisés sont élevés au rang de saint. Chez les Ekang, la mort ne représente pas la fin, mais un changement de dimension, les morts ne sont pas partis, bien étant dans l’au-delà, ils gardent un lien de contact avec les vivants, raison pour laquelle au quotidien, on versera quelques gouttes de boisson au sol : avant de boire, geste que l’on accomplit automatiquement sans même y prêter vraiment attention. Dans la tradition Fang, pour s’attirer les bénédictions de nos défunts, on peut également leur préparer un repas (habituellement des graines de courge concassées ou des arachides) que l’on ira déposer sur leur tombe. On s’adresse en outre régulièrement à eux pour leur demander leurs faveurs. Toutes ces pratiques ont en commun à conférer aux ancêtres une « présence », dans la mesure où elles les placent en position de destinataires. Adresser un discours même mental à quelqu’un suppose en effet nécessairement une certaine forme de présence intersubjective de l’allocutaire (qu’il soit visible ou non).
En définitive, que les morts ne soient pas morts, ne signifie pas qu’ils soient encore vivants, mais plutôt qu’ils maintiennent une présence par-delà leur trépas : d’une manière ou d’une autre, ils sont encore « là ».
Sveltana Adah Mendome, Rédactrice Savoir-Faire Ekang, Libreville, Gabon