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C’est quoi le Mvett Ekang ?
Le Mvett Ekang, genre majeure de la littérature orale, est une tradition profondément enracinée dans les pratiques et les croyances de la civilisation Fang, Bulu et Beti (les Ekang). Véritable trésor, à la fois musical et philosophique, il a traversé les âges, porté par des maîtres qui se sont consacrés à sa préservation. Le Mvet n’est pas seulement un instrument ou un chant, mais une doctrine initiatique et sacrée. Cet article se propose d’explorer les multiples facettes de cet art complexe et fascinant, à travers ses acteurs, ses textes, son histoire et ses mystères.
Le Mvett Ekang ou les enseignements du sanctuaire
Le Mvett Ekang se décompose en trois éléments principaux : la harpe-cithare (Mvet Oyeng), le musicien-poète (Mbom Mvett) et le texte (Nlang Mvett). Dr. Angèle Christine Ondo, disciple du Maître Tsira Ndong Ndoutoume, explique que l’instrument Mvett Oyeng est fabriqué à partir d’une tige séchée de palmier-raphia appelée « Dzang ». Cet instrument se distingue par son accord qui s’effectue grâce à des anneaux coulissants et sa caisse de résonance formée de calebasses. Ses cordes passent à travers un chevalet de bois sculpté en forme d’escalier et il émet huit notes distinctes, jouées en pinçant les cordes des deux côtés du chevalet.
Afin d’éviter toute confusion entre le Mvett en tant que Parole des origines et le mvett comme instrument, les mvettologues modernes ont convenu de les distinguer par l’orthographe : « Mvett » avec un « M » majuscule pour la Parole sacrée, et « mvett » avec un « m » minuscule pour l’instrument. De plus, l’ajout d’un « t » supplémentaire permet d’éviter une prononciation en Français comme « navet » ou « chevet », ce qui préserve l’intégrité du mot dans sa dimension originelle.
Le musicien-poète appelé Mbom Mvett
Le Mbom Mvett, véritable figure centrale de la tradition, se distingue par un costume de scène remarquable. Celui-ci est composé d’un panache de plumes d’oiseaux multicolores sur la tête, de grands colliers croisés en diagonale sur le torse, de brassards en peaux de bêtes tachetées qui accentuent le mouvement de ses bras et d’un grand pagne noué autour de la taille, descendant jusqu’aux chevilles. Par sa voix, le Mbom Mvet incarne le récit en déclamant, chantant l’interlude ou psalmodiant le soliloque des segments narratifs complexes.
En 1963-1964, Gaspard Towo-Atangana mena des recherches ayant permis de dresser une liste de cinquante joueurs de Mvett (Bebom Mvett) issus des départements camerounais de la Mefou, de la Lékié, de la Haute-Sanaga, du Ntem et du Dja et Lobo. Ces joueurs, originaires des régions Centre, de l’Est et du Sud du Cameroun, avaient également participé à des enregistrements sonores, contribuant ainsi à la préservation des récits du Mvett.
Mbom Mvet Eko Onjii (Oveng, Ambam)
La Parole : Nlang Mvett
Dans son ouvrage « Mvett Ekang : Forme et Sens », Angèle Christine Ondo révèle que les récits du Mvett sont toujours accompagnés par la musique de la harpe-cithare, soutenue par des instruments de percussion tels que les grelots métalliques (mengong) et les baguettes de bois (bikwara), frappées par l’assistance. Cette parole sacrée est souvent récitée lors des rites de retrait de deuil d’un homme, où la quête de l’immortalité occupe une place centrale dans les thèmes abordés.
Ces récits s’adressent principalement aux initiés de la communauté, qui forment l’auditoire privilégié. Comme le précise Pascal Boyer « Pour en comprendre le détail, il faut avoir fait le So puis le Mëlan ». Le rite So représente l’initiation guerrière que les adolescents devaient passer avant d’entrer dans l’âge adulte et l’auditoire des séances de Mvett est principalement composé de ceux ayant passé ces initiations, ou ayant été initié au culte Byeri.
L’histoire du Mvett
Selon Gaspard Towo-Atangana, le Père Margurt, dans son ouvrage en allemand « Musik in Afrika », fait état de la découverte d’un dessin d’un instrument similaire au mvett sur des tombeaux égyptiens, datant de 2600 ans avant notre ère. A ce jour, cet instrument, dans sa forme de perfectionnement définitive émanant de la fin de la dynastie d’Ekang Nna, se retrouve dans le pays Fang-Beti (Ekang).
Towo-Atangana ajoute que, selon les traditions orales, le Mvett aurait été transmis à partir de la tribu Okak, située à la frontière entre le Cameroun, le Gabon et la Guinée Équatoriale.
Mbom Mvet Mbazoa Laurent à Bengbis (Sud du Cameroun)
Les genres littéraires du Mvett
Plusieurs genres littéraires inspirés du Mvett Ekang accompagnent la harpe-cithare dans les différentes régions où cette tradition est implantée. On y trouve par exemple le mvett Bibon, ou « mvett des concubinages » (mvett des amours), pratiqué par les Ewondo et les Eton et illustré par des musiciens comme le Mbom Mvett Eton Andjeng Etaba Pantaléon. Au Nord du Gabon et au Sud du Cameroun, on retrouve le genre mvett Ndong Makoda, et enfin, le troisième genre est le mvet Ngubi (engubi) présent dans le Sud du Cameroun et qui évoque des récits historiques des chefs Bulu et Beti (en exemple le Mbom Mvett Zue Ella).
Concernant les styles, on pourrait citer l’Akel-Yeme, qui narre des contes historiques sur une musique légère, le Mbom Edina, relatant les exploits des « bekon » (fantômes) au royaume des morts et l’Ogbeng, une forme ancienne qui a aujourd’hui disparu et qui constitue la forme la plus ancienne de l’Angon-Mana (Source : Le Mvet, genre majeur de la littérature orale, Gaspard Towo-Atangana, p169).
Le Mvett Ekang, pour sa part, est réservé à des cérémonies exceptionnelles et ne peut être récité que par des initiés de haut rang, témoignant de son caractère sacré et élitiste. Il évoque exclusivement les gestes des immortels Ekang et représente l’apogée de la culture Fang, Bulu et Beti. Les grands auditeurs n’hésitent pas à parcourir des centaines de kilomètres pour écouter un maitre réputé. Angèle Christine Ondo précise que le Mvett véritable, comme tout ce qui est essentiel est aujourd’hui rare. Avec la mort de Tsira Ndong Ndoutoume en août 2005, le pays Fang a perdu tous ses grands maitres.
Le Mvett, un art réservé aux initiés
Dans « Mvett Ekang Les figures de pensées », Angèle Christine Ondo décrit le processus de formation rigoureux auquel sont soumis les jeunes initiés qui aspirent à devenir musiciens-poètes. Dès l’adolescence, le jeune aspirant montre un goût marqué pour les récits, avant de solliciter l’admission auprès d’un maître. Ce dernier soumet l’élève à une série de tests d’aptitude, évaluant son intelligence, sa mémoire, son courage, et ses capacités paranormales. Si les tests sont réussis, l’initié s’installe auprès du maître pour un apprentissage long et complexe (vingt années au minimum).
La formation, transmise exclusivement par voie orale, s’étend sur plusieurs décennies. Selon le musicien-poète Ndong François, il faudrait être âgé d’au moins cinquante ans pour pouvoir se produire en public, ce qui souligne l’extrême rigueur et la profondeur de cet enseignement.
Les musiciens-poètes se regroupent en confréries qui sont chargées de la conservation et la transmission du Mvett. L’école fondée par Oyono Ada Ngono, un fils de la dynastie Ekang, est chargée de la conservation des textes du Mvett.
Dr. Angèle Christine Ondo
La voix du Mbom Mvet : Un instrument central
La voix du Mbom Mvet constitue un élément fondamental de son art. Lors de l’initiation, le Mbom Mvet consomme une potion médicinale qui fortifie sa voix, la rendant inaltérable, fluide et puissante. Tout au long de sa carrière, il observe des interdits alimentaires pour protéger et entretenir sa voix, qui doit être capable de supporter de longues performances, parfois de plus de dix heures.
Les femmes dans le Mvett : Une place méconnue mais essentielle
A la question d’une chroniqueuse dans l’émission Dafresh Morning à Urban FM à Libreville demandant si une femme a le droit de conter et de jouer au mvett, Angèle Christine Ondo invitée dans l’émission répond :
« Ce n’est pas que les femmes ne puissent pas jouer du mvett, mais c’est plutôt une question de disposition. Lorsqu’on est une femme, très tôt, on est occupée à aider sa mère dans les travaux domestiques et, souvent, on se marie jeune, ayant un mari et des enfants dont il faut s’occuper. La femme n’a donc pas la disponibilité nécessaire pour aller apprendre auprès d’un maître, chez qui il faudrait habiter pour apprendre à fabriquer l’instrument, à jouer et à réciter les poèmes, puis terminer son initiation. Cette initiation prend de nombreuses années ; le Maître Mvett François Ndong disait qu’il faut attendre cinquante ans pour être réellement capable de jouer du mvett. De l’adolescence à cinquante ans, cela nécessite une grande disponibilité ».
On peut donc affirmer que, contrairement aux idées reçues, les femmes ont également leur place dans la transmission du Mvett. Angèle Christine Ondo cite Minenga Nkü, héritière directe d’Oyono Ada Ngono, pour illustrer l’importance des femmes dans cet art. Bien que les femmes soient moins nombreuses, principalement en raison de leurs engagements domestiques et familiaux, elles peuvent également exceller dans cette pratique. La maîtresse Mvett de Guinée Équatoriale, Okore Nsila, a même introduit un style guerrier qualifié de viril, appelé Angon-Mana, adopté par plusieurs maîtres à travers la région, dont le célèbre grand maitre Zwe Nguema.
Les affirmations selon lesquelles le Mvett serait exclusivement réservé aux hommes sont souvent qualifiées de fausses rumeurs. De nombreux Bebom Mvett affirment qu’il n’existe aucun interdit excluant les femmes, et que seuls les initiés peuvent véritablement se prononcer sur la question.
[VIDEO] Angèle Ondo invitée à l’émission Dafresh Morning à Urban FM
Conclusion sur C’est quoi le Mvett Ekang ?
Pour Pascal Boyer, le Mvett parle de la totalité des choses (mam mësë). Il questionne en effet sur la manifestation du monde, il pose le problème de l’Etre dans l’axe du temps, il conçoit un enseignement qui permet à l’homme de combattre l’angoisse de la finitude en lui expliquant le pourquoi des phénomènes. Pr. Grégoire Biyogo dit « Le Mvett nomme celui qui travaille à s’élever par la pensée en vue de recueillir la parole qui contient la sagesse de la combinaison du juste et du vrai. Le Mvett recommande de détruire tout ce qui nous tirerait encore vers le bas. Il décrit le geste de la puissance, le geste universel de l’arrachement à soi, celui du dessaisissement radical de toute expropriation, au terme duquel l’Immortel naît de l’homme ». Angèle Christine Ondo dit enfin « La philosophie du Mvett invite à un travail personnel qui consiste à s’élever par la pensée ».
Autres articles qui parlent du Mvet
Notes de référence : Article C’est quoi le Mvett Ekang?
- Mvett Ekang : forme et sens, Angèle Christine Ondo.
- Mvett Ekang : Les figures de pensée, Angèle Christine Ondo.
- Emission Dafresh Morning à Urban FM à Libreville en 2023 dans laquelle Angèle Christine Ondo fut invitée.
- Le Mvet, Genre majeur de la littérature orale des populations Pahouines (Bulu, Béti, Fang-Ntumu), Gaspar Towo-Atangana.
- Le Mvett, l’Homme, la mort et l’immortalité, Tsira Ndong Ndoutoume.
- Grégroire Biyogo, Encyclopédie du Mvett.