Pr Didier Etaba, la mémoire oubliée d’un patriarche Mvog Kani

Professeur Didier Etaba Otoa Cameroun

Le Professeur Joseph Ndzomo-Molé s’exprime ci-dessous.

Savons-nous, nous les Mbókaní (clan Eton/Iton, ndlr), ce que nous avons perdu, qui nous avons perdu avec la disparition de Didier Etaba Otoa ? En Itón, il s’agit d’Itaba Otogo plutôt que d’ Étaba Otoa, appellation en usage en Ewondo.

L’homme, eut-on dit,  avait bénéficié des combines et de la partialité de la nature : d’une beauté physique légendaire, tel Ulysse ou Alcibiade, il était également doté d’une santé peu commune : il meurt à quatre-vingt-dix ans (90 ans), âge exceptionnel dans le monde et pas uniquement sous nos cieux ; il meurt, fait également rare, plusieurs années après son quatrième AVC, sans que sa lucidité ait diminué outre mesure. Côté beauté physique, j’ai entendu dire qu’il avait été élu par Ted Lapidus, Couturier internationalement réputé, comme mannequin de luxe : le Catalogue de la Confession publiait régulièrement une photo de lui, vêtu de la plus récente trouvaille ; cela fait qu’il avait une impressionnante collection de costumes, de chemises, de paires de souliers, et de cravates.

Comme le dit une musicienne Mbókání, Léa Jiin Messomo, une Mbóg-Ndzom de Sa’a :«O nyeb kí vë ebeng, o kángá të e odjëm á nnó ». Cette belle phrase n’est pas facile à traduire :« Et si au moins la beauté en lui n’avait pas pour compagne la science !».

La beauté, «ebëng», en Itába Otogo,  fils de Jean Otogo alias «Mõ ndómní» ou «Le bel homme»,  était accompagnée de science , «odjëm». Mais il n’y a point de science dans un esprit abruti, mal moulé, dépourvu d’intelligence, « akēng». La phrase précédente peut donc être rendue d’une autre manière :« O nyeb kí vë ebeng, o kángá të e akēng á nnó !» ; cette phrase peut également se traduire de cette manière approximative :« Et si au moins la beauté en lui n’avait pas pour compagne  l’intelligence !».

Dans notre langue, intelligence, «akēng», faculté de comprendre, d’analyser, de comparer, signifie aussi talent, génie, pouvoir de créer, ce qui suppose une autre qualité de l’esprit : l’imagination.

Eglise d'Efok au Cameroun

C’est sous cet abord, le pouvoir artistique, que le fils de Jean Otogo se signale à ma connaissance : il se disait, du temps de mon enfance, qu’Itaba Otogo pouvait brosser votre portrait sur un tableau d’une manière qu’on pût le prendre pour une photographie. Dans le domaine de l’art, je l’ai qualifié de « père de l’École d’Efok ». Saint Charles d’Efok (dans le département de la Lékié, Cameroun),  en effet, a formé presque tous les grands esprits des environs,  qui ont fait honneur au Cameroun; il s’est distingué en dessinateurs de génie, comme Louis-Marie Lémana, célèbre caricaturiste à Cameroon Tribune (quotidien généraliste camerounais créé par le gouvernement en 1974, ndlr), pour ne prendre qu’un exemple dans la Maison de l’instituteur Laurent Ndzomo ; c’est de cette Maison, en tout cas, qu’est sorti le Sceau de l’État du Cameroun. Ce talent est l’œuvre de toute une école, l’École d’Efok, dont Didier Etaba Otoa était le Chef de file. Voici ce que j’écris à ce sujet dans mon livre, « L’identité culturelle itón. Essai anthropo-philosophique sur le groupe Etón-Manguissa-Batsenga», publié en 2021 à Paris, aux Éditions de L’Harmattan, aux pages 246-247 :

   « Avant d’aller poursuivre ses études à l’École des Beaux-arts de Paris grâce à Pierre Messmer, Haut-commissaire au Cameroun dont il avait fait un portrait en 1956, Didier Etaba Otoa s’était fait remarquer par un portrait monumental de la Résurrection du Christ à l’église Saint Luc de Tala. Étudiant aux Beaux-arts, il fit :

– Un portrait du Président John F. Kennedy, qui fut remis à Monsieur Mennen William, Secrétaire aux Affaires africaines (…) ;

– Un portrait du Pape Jean XXIII, remis en mains propres à l’Évêque de Rome lui-même (…) ;

– Un portrait du Général de Gaulle, admis aux Collections nationales françaises par André Malraux, qui en reçut l’auteur ;

– Plusieurs portraits du Président Ahidjo (…) ;

Pr Didier Etaba cameroun

– Le tout premier portrait du Président Paul Biya en 1983, portrait aujourd’hui affiché au Comité central du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (…) ;

– Les deux dessins de la Flamme du RDPC, choisie comme symbole du parti ».

   « O nyeb kí vë ebeng, o kángá të e obihá á nnó ! / Et si au moins la beauté en lui n’avait pas pour compagne une mémoire exceptionnelle !», dirait-on encore.

L’homme, outre la grande beauté physique dont la nature l’avait outillé sans parcimonie, et qui a dû faire de lui un bourreau des cœurs de la gent féminine, brillait par un esprit dont toutes les qualités s’exprimaient au maximum, au nombre desquelles la mémoire. Il avait donc des prédispositions pour l’histoire et l’écriture. Son livre, « le Cameroun libre avec les Français libres. 1940 », publié en 2000 à Yaoundé aux Presses de l’UCAC (Université Catholique d’Afrique Centrale), est un récit alléchant, un vrai régal. Finalement, rien de ce qui concerne Charles de Gaulle ne lui était étranger ; il écrit sa profession de foi de gaulliste :« Je ne voudrais pas cacher que toute mon enfance et toute ma jeunesse ont été imprégnées par la personnalité du général de Gaulle (…)».

C’est ce qui explique qu’il connaissait l’histoire de la colonisation et de la deuxième Guerre mondiale sur le bout des doigts. Je me demandais d’ailleurs quelle partie de l’histoire il ne connaissait pas sur le bout des doigts. Quel que fût le sujet de conversation historique que nous abordions, il connaissait les noms des principaux acteurs, et les rappelait sans la moindre hésitation. Ainsi, dès que j’eus abordé la page des Templiers en France au Quatorzième siècle, il parla avec précision de Jacques de Molay, le Chef des Templiers, emprisonné pendant dix ans et mis au bûcher en 1313 ; il parla longuement du Roi Philippe le Bel, du Pape Clément et du Ministre des Finances et Conseiller du Roi, Enguerrand de Marigny, ce qui indiquait qu’il avait lu les sept tomes des « Rois Maudits » de Maurice Druon, Secrétaire perpétuel de l’Académie Française. On aborda un jour le grand Schisme de l’Église, avec la séparation de l’Église d’Orient et de l’Église d’Occident, Schisme qui donna naissance à l’Église orthodoxe. Alors, de long en large, il parla du Patriarche Michel Cérulaire, Évêque de Constantinople.

Et sa vaste culture, aussi étendue que profonde, ne se limitait pas aux connaissances livresques, que l’on enseigne en histoire dans le domaine académique. Quand il parlait de l’histoire des Bëtí, des Etón et des Mbókání, il était tout simplement éblouissant, époustouflant. Dans différents forums, j’ai exhorté les membres désireux de connaître l’histoire du Parti des Démocrates Camerounais et celle des Mbókaní à rechercher cette perle rare, et à la fréquenter pendant qu’il en était encore temps. J’ignore si j’ai été écouté ou moqué, ou si ceux qui m’ont lu ont fait preuve de négligence, ou péché par procrastination, comme le mauvais élève que la paresse empêche d’étudier ses leçons, dans le genre :« Mes devoirs, je les ferai tantôt, je les ferai ce soir ; et le matin, il baille et dort ».

Quant à moi, ce fut ma chance de rencontrer Didier Etaba Otoa, et je me félicite de l’avoir fréquenté par la suite. C’était en Faculté des Arts, Lettres et Sciences humaines de l’Université de Yaoundé 1. Lucien Ayissi, enseignant de philosophie comme moi, nous présenta mutuellement : « Vous saurez vous-mêmes si vous êtes frères, ou père et fils ». Didier Etaba Otoa me demanda de quel village Mbókání je suis :«Nkoltomo 2… Mais tu ne connais certainement pas mon père », lui dis-je :«Tá te má kad. / Dis-moi toujours », m’encouragea-t-il. «Moli Ilomo », répondis-je, convaincu que ce professeur de grand grade universitaire ne pouvait pas connaitre un homme aussi modeste que mon père.« É ne mõdjáng! Me ne ndómní í Jean Otogo ! / Mais c’est mon frère ! Je suis le fils aîné de Jean Otogo », s’écria-t-il.  Tout le monde, mon interlocuteur le savait, connaissait Jean Otogo, le maniaque de la veste et de la cravate, appelé pour cette raison «Mõ Ndómní», le Bel homme, acheteur de cacao. En m’évoquant son nom, il n’avait donc pas besoin de me donner d’amples explications. Cet homme, que mon père m’avait enseigné à considérer comme un grand-père paternel, je ne le vis jamais habillé autrement qu’en veste-cravate, même par temps de grande saison sèche.

Je n’en revenais pas : cet oncle, ce grand Mbókání dont j’entendais parler depuis l’enfance ! C’est à lui-même que je parlais ! Des années plus tard, j’étais dans la résidence de Monsieur Ébénézer Njoh-Mouellé (Philosophe camerounais, ndlr) à Bastos. Je m’apprêtais à sortir du bureau où j’avais été reçu, quand on vint annoncer le Professeur Didier Etaba Otoa :« C’est mon oncle », dis-je fièrement à Monsieur Njoh-Mouellé, heureux de lui faire savoir que, moi aussi, j’avais des parents importants. Monsieur Njoh-Mouellé est un homme aux mœurs raffinées, un vrai gentleman, un diplomate dans sa vie de tous les jours. À la sortie de son bureau, il s’arrêta, par bonne éducation, et pour « voir ». Je m’avançai. En saluant le nouveau venu, je me présentai : «Ndómní i Móli Ilomo ! / Le fils de Molé Ilomo». Il s’écria, à l’adresse de Monsieur Njoh-Mouellé :« C’est mon neveu !».

J’en conçus une fierté que j’éprouve jusqu’à aujourd’hui.

Joseph Ndzomo-Molé, de Nkoltomo 2, arrondissement d’Obala.

Biographie du regretté Professeur Etaba Otoa (23 Mai 1934 – 23 Décembre 2023)

Le Professeur Didier Etaba Otoa est venu au monde le 23 mai 1934. Ses parents sont feu OTOA Jean Baptiste et OBAMA Crescentia. Ainsi commençait l’histoire de celui qui s’illustra des années plus tard comme un digne fils du village Efok dans la région du centre, département de la Lékié, arrondissement d’Obala. Il fut marié à Dame OBONO ONGOLO Emilia le 27 octobre 1973, il fondera avec elle une grande famille de plusieurs enfants, petits-enfants et arrières petits-enfants dont il s’occupera en bon père jusqu’à son départ.

 

CURSUS STUDIERUM

Dès sa prime enfance, il intègre l’école Sainte Anne de la Mission Catholique d’Efok où il obtient son CEPE. Nanti de ce diplôme prestigieux à l’époque, il est admis au petit séminaire de Mva’a, puis au collège François Xavier Vogt pour ses études secondaires. C’est sans grande surprise pour son entourage que le garçon bravera avec succès les épreuves du Baccalauréat car, il était de notoriété publique qu’il était doté de capacités intellectuelles exceptionnelles.

En 1961, il s’envole pour la France. Il dépose ses valises à la Sorbonne où il poursuit concomitamment des études en histoire et archéologie.

Pr Didier Etaba Otoa

De 1962-1969, il s’intéresse aux arts plastiques et s’inscrit à l’école supérieure des Beaux-arts de Paris. Ses efforts sont couronnés de succès, car il obtient une bonne bagatelle de diplômes dans tous les domaines d’études qu’il a abordés notamment :

  • Une License d’histoire de l’art et l’archéologie
  • Une Maitrise d’histoire de l’art
  • Un diplôme d’Etudes supérieurs d’histoire
  • Un diplôme supérieur d’art plastique
  • Un Doctorat de IIIème Cycle en histoire
  • Doctorat d’Etat en histoire (1973) dirigé par le Professeur KAUFMAN de l’Institut des beaux-arts

CURSUS PROFESSIONNEL

En dehors des diplômes académiques obtenus à l’issue des études scolaires et Universitaires, le Professeur Didier ETABA Otoa a reçu diverses formations et il a fait plusieurs stages afin d’étendre et d’affiner ses compétences. De 1966-1968, il passera deux années à apprendre la gestion des œuvres artistiques à la Direction du Musée de France.

De 1968-1970, il est reçu à l’Ecole des Arts et Manufacture pour deux autres années de formation. Nanti de tant de diplômes et pétri d’expérience dans plusieurs domaines, il tenait là le secret d’une carrière professionnelle prometteuse et riche. Son « encyclopédicité » et son amour du travail bien fait lui ont valu le mérite d’occuper plusieurs postes prestigieux au Cameroun, et de collaborer avec la crème de l’élite Française.

La riche carrière professionnelle de Monsieur Didier ETABA Otoa montre à suffisance qu’il était non seulement un patriote convaincu et enraciné, mais aussi un citoyen ouvert au monde entier.

Travailleur acharné, il a toujours bénéficié de la confiance de sa hiérarchie.

Dès 1956, alors qu’il n’a que 22 ans, il occupe déjà le poste de rédacteur Chef adjoint du journal des villages.

Il a été membre fondateur de la grande association MBOKANI MPERGAN MEKOLO.

Ci-dessous ses chefs-d’œuvre :

  • 1970 : Mélanges Africains
  • 2001 : Le Cameroun libre avec les Français 1940
  • Le catéchiste (film)
  • 1985 : La traversée de la Sanaga par les Bétis (Epopée et mythe)
  • Artistes peintres, Portraits des Chef d’Etats : John Kennedy, Mobutu Joseph Desire, Bongo Odimba, Ahmadou Ahidjo et Paul Biya
  • Peintre monumentale Eglises de Tala et Marie Goker
  • Co-auteur de la peinture de l’autel de la Cathédrale notre Dame de victoire de Yaoundé avec le Père Engelbert Mveng
  • En 1940, Projet de film sur l’arrivée du Général de Gaulle en Afrique Equatoriale
  • 1985 : Maquette tissu pagne dédié à l’arrivée du Pape Jean Paul II au Cameroun
  • Décoration de l’Assemblée Nationale du Cameroun
  • Lauréat de l’exposition des Arts Universitaires d’Ibiza (Espagne)
  • Expositions Internationales de New York, Stockholm, Moscou
  • Réalisation de 04 grands tableaux sur commande du Ministre BELINGA EBOUTOU pour l’embellissement de la Chapelle de Nkilzock.

 

DISTINCTIONS HONORIFIQUES

  • 1992 : grade de Chevalier de l’Ordre du Mérite Camerounais
  • 1999 : en Belgique, il est fait Commandeur de l’ordre de la Couronne Belge
  • 2006 : grade de Chevalier des Art et des Lettres
  • 2008 : grade de Chevalier de l’ordre de la valeur
  • 2012 : grade de Chevalier de l’ordre des Palmes Académiques françaises.
  • 2021 : grade d’Officier de l’ordre et de la valeur pour la confection de la médaille du cinquantenaire de l’indépendance du Cameroun.

Sur le plan traditionnel :

  • Prince à la chefferie d’Efok
  • Notable honorifique à la chefferie de Bafut au Nord-ouest Cameroun
  • Yérima à la cour du lamidat de Rey-Bouba

Source : faire-part de décès Pr Didier Etaba Otoa envoyé par Madame Léa Jiin Messomo.

Biographie du Professeur Joseph Ndzomo-Molé

Joseph Ndzomo-Molé est né à Obala au Cameroun. Il a fait toutes ses études primaires et secondaires jusqu’au baccalauréat A2 dans sa ville natale. Il poursuit ses études supérieures à l’université de Yaoundé (faculté des lettres et sciences humaines) et à l’Ecole normale supérieure de Yaoundé.

Il est sorti Major à l’École normale supérieure ainsi qu’en Faculté pour son Diplôme d’Études approfondies.

Son mémoire de Maîtrise portait sur «la Naissance de la tragédie » de Nietzsche, celui du DEA sur : les « Principes de la philosophie du droit » de Hegel, celui du Doctorat de troisième cycle sur :  la « Critique de la raison pure » de Kant et enfin, l’Habilitation à diriger des recherches portait sur l’Homme et le Monde d’après la catégorie de l’unité.

Après une longue carrière dans l’enseignement secondaire (professeur aux lycées de Yagoua et d’Ohala, et inspecteur pédagogique provincial de philosophie pour le Centre), il est recruté à l’université de Yaoundé-I en qualité d’enseignant au département de philosophie de l’Ecole normale supérieure.

De grade universitaire, le Pr Joseph Ndzomo-Molé est Maître de conférences de classe exceptionnelle.

Pr Ndzomo Molé

Ouvrages publiés chez l’Harmattan :

  • L’identité culturelle Iton, essai anthropo-philosophique sur le groupe Eton – Manguissa – Batshenga.
  • Gassama Cœur-de-lion, le courage et l’héroïsme d’un migrant.
  • Le cousin d’Obama, leçons sur un phénomène historique inédit.
  • Autopsie de la « Ploutomaonie » et de l’esprit de jouissance, Critique de la mentalité « digesto-festive »
  • Penser avec Descartes