Nkum Ekiegn : L’Arbre Mystique à l’Origine de la Ville d’Oyem

Mémorial Nkum Ekiegn Oyem Omoss Productions

Baptisé en langue Fang « Nkum éki » ou « Nkum ékiègn » (Nkum ekiegn), qui veut dire « colonne d’acier » selon les régions, cet arbre mystique est indissociable de la fondation de la ville d’Oyem, au Gabon. Cet arbre, au-delà de sa stature imposante, incarnait la force, l’unité et la prospérité du peuple Fang. Mais la trahison et l’intervention des autorités politiques ont provoqué sa destruction, marquant une rupture profonde dans l’héritage spirituel et culturel de ce peuple. Ce récit, qui remonte à plusieurs décennies, est à la fois une chronique historique et une leçon sur la fragilité des traditions face aux forces extérieures.

I. L’histoire de Nkum Ekiegn : Arbre Mystique

L’arbre des Anciens : Symbole de prospérité et de puissance

Selon Cyriaque Akomo-Zoghe dans son livre « 1er Congrès International Fang de Mitzic-Gabon (1947) », l’arbre Nkum Ekiegn était situé dans le département du Woleu, au cœur de la ville d’Oyem. Cet arbre rassemblait chaque année les grands féticheurs Fang de plusieurs pays : Gabon, Cameroun, Guinée Équatoriale et Congo-Brazzaville. À l’ombre de cet arbre, des cérémonies étaient organisées, au cours desquelles des sacrifices d’animaux étaient offerts aux ancêtres.

Les prières et vœux des participants, principalement tournés vers la réussite scolaire des enfants, la prospérité agricole et la paix, étaient adressés. Ces cérémonies renforçaient le lien entre les générations et la nature, offrant au peuple Fang un sentiment d’harmonie spirituelle et collective.

Lors de ces rituels, les participants se tenaient les bras, les yeux rivés vers le Nord, scandant les noms des guerriers d’Engong, pays des Immortels dans l’épopée du Mvett, du prêtre tout-puissant Angoung Bere d’Engong, ainsi que des ancêtres des clans et tribus dominants. 

Le contenu du rituel se devait de rester secret, toute divulgation étant perçue comme une trahison pouvant conduire à la destruction du pouvoir et de la force du rite.

La trahison et la destruction de l’arbre sacré

Le fragile équilibre spirituel fut brisé lorsqu’un fils du Woleu-Ntem, pour ses intérêts personnels, trahit ce secret ancestral à des dignitaires politiques gabonais. Curieux et intrigués par cet arbre jugé énigmatique et magique, ils dépêchèrent un contingent de soldats de la Garde présidentielle pour l’abattre. Cependant, avant même que les haches ne puissent atteindre le tronc du Nkum Ekiegn, celui-ci s’embrasa de manière inexplicable, brûlant pendant six mois.

Les anciens, témoins de cette scène apocalyptique, interprétèrent cet événement comme une manifestation de la colère des ancêtres. Les éclairs et le grondement du tonnerre témoignaient de cette fureur divine. Le soir même, les notables murmurèrent tristement que « le peuple est vaincu », signifiant que le lien sacré avec les ancêtres avait été irrémédiablement rompu. Cyriaque Akomo-Zoghe nous rapporte dans son ouvrage que, deux jours plus tard, deux importants fils du pays Fang, ayant participé à l’édification de ce Congrès, décédèrent paraît-il avec des larmes aux yeux, regardant impuissants leur patrimoine historique s’ébranler ce jour-là, au vu et au su de toute la population oyemoise.

II. Nkum Ekiegn : Symbole d’Unité du Peuple Fang

L’influence du Nkum Ekiegn et le rêve de l’UNIFANG

L’influence du Nkum Ekiegn s’étendait bien au-delà des frontières nationales gabonaises. Selon les dires de l’arrière-grand-mère de Cyriaque Akomo-Zoghe, maman Madeleine Andeme Oyone, originaire du village Mesè-Biyen, de la tribu Onvang en Guinée Équatoriale, cet arbre sacré, qui n’est autre que l’adzap, figure sur le drapeau national équato-guinéen, en hommage à son rôle dans le projet de la création de l’Unifang. L’Unifang (Union des Peuples Fang) fut une initiative menée par Macias Nguema Biyogo, premier président de la Guinée Équatoriale, qu’il porta à l’ONU en 1972 (lire les écrits de Max Liniger-Goumaz). Ce projet visait à fédérer sous une même bannière l’ensemble du peuple Fang, disséminé dans plusieurs pays d’Afrique centrale. 

Bien que ce rêve n’ait jamais été réalisé, il témoigne de la puissance symbolique de cet arbre comme facteur d’unité et de cohésion pour les Fang. L’arbre était perçu comme un élément unificateur, unissant les différentes branches de la diaspora Fang à travers le Gabon, le Cameroun, la Guinée Équatoriale, Sao Tomé et le Congo. Malheureusement, malgré la portée de ce projet, Macias Nguema fut le seul président Fang à soutenir l’initiative, manquant de l’appui nécessaire des autres pays. Ce rêve inachevé montre combien la fragmentation politique a pu freiner l’aboutissement d’une unité nationale pour ce peuple.

La naissance de la ville d’Oyem autour de l’arbre sacré

La ville d’Oyem, capitale de la région nord du Gabon, est intrinsèquement liée à l’histoire du Nkum Ekiegn. Les premiers villages furent établis vers 1810, au moment où le peuple Fang, après plusieurs décennies de migrations, choisit de se sédentariser. Le clan Nkodjeign, considéré comme l’un des plus puissants chez les Fang du Gabon, fonda la ville. Ils avaient migré depuis le Cameroun, passant par la Guinée Équatoriale avant de s’installer sur les collines du mont Miyele au Gabon où ils cultivaient l’arachide comme ils le faisaient sur les collines de Yaoundé (cf. archives de la ville d’Oyem). Leurs liens familiaux avec les Ewondo du Cameroun, particulièrement avec les Mvog Ada et Mvog Atemengue de Yaoundé, furent maintenus jusqu’à la moitié du XXe siècle. Ces relations transfrontalières illustrent l’enracinement et la solidarité entre les différents groupes Ekang, malgré la distance géographique.

III. Analyse du récit et portée symbolique

Le poids du secret et de la trahison

Le rôle central du secret dans la culture Fang est indéniable. La divulgation des rituels sacrés entourant le Nkum Ekiegn n’a pas seulement conduit à la perte de l’arbre, mais aussi à une profonde rupture spirituelle. En transgressant ce tabou, le traître, qui fut nourri par une ambition personnelle, a non seulement livré aux autorités un symbole sacré, mais il a également fragilisé la cohésion sociale du peuple. Ce récit souligne l’importance de la discrétion dans la préservation des traditions ancestrales, car c’est dans ces secrets que réside la véritable force d’un peuple.

La destruction de l’arbre : Une métaphore de l’autodestruction du peuple

L’auto-combustion de l’arbre peut être interprétée comme une allégorie de l’autodestruction du peuple Fang. En trahissant leurs ancêtres, ils ont eux-mêmes contribué à la destruction de leur héritage et de leur lien avec les forces divines. Le récit fait écho à d’autres légendes, comme celle de la Traversée de la Sanaga sur le Ngan Medza (serpent-totem), où la rupture avec les forces spirituelles conduit à la désunion et à la perte. Ces histoires rappellent que le peuple Fang, en négligeant ses traditions et en rompant avec ses ancêtres, est devenu l’artisan de sa propre défaite.

La désunion post-coloniale et la quête d’une identité perdue

L’histoire du Nkum Ekiegn et le rêve avorté de l’Unifang illustrent les défis rencontrés par le peuple Fang pour maintenir son unité face aux forces coloniales et post-coloniales. La désunion du peuple, exacerbée par les frontières politiques imposées, a rendu impossible la réalisation d’une identité collective forte. La destruction de l’arbre sacré reflète ce processus de fragmentation culturelle et spirituelle.

Le souvenir vivace du Nkum Ekiegn dans la mémoire collective

Malgré la destruction du Nkum Ekiegn, l’arbre continue de vivre dans la mémoire collective des Fang. Il symbolise à la fois la grandeur passée et le déclin du peuple. Ce récit, transmis à travers les générations, rappelle l’importance de préserver et de respecter les traditions, tout en soulignant la fragilité des relations entre les vivants et les ancêtres.

Mémorial Nkum Ekiegn Oyem Omoss Productions

©Mémorial Nkoum Ekiegn à Oyem – Omoss Productions

Conclusion

L’histoire du Nkum Ekiegn est celle d’un arbre mystique qui incarne l’unité, la force et la spiritualité d’un peuple. En reliant les vivants aux ancêtres, il était un symbole de cohésion, de prospérité et de puissance pour le peuple Fang. Sa destruction, provoquée par la trahison et les ambitions politiques, marque une rupture profonde dans l’héritage spirituel de ce peuple. Cependant, ce récit rappelle aussi que, malgré les épreuves, la mémoire collective perdure, transmettant les leçons de cette histoire aux générations futures. Nkum Ekiegn, bien que disparu physiquement, reste un pilier du patrimoine immatériel du peuple Fang, invitant à une réappropriation de ses racines culturelles et spirituelles.

Les Podcasts Culturels de MAVA #2 L’arbre Sacré à l’origine du nom de la ville d’Oyem au Gabon

Notes de référence :

  • Livre 1er Congrès International Fang de Mitzic-Gabon (1947) de Cyriaque Simon-Pierre Akomo-Zoghe
  • Texte sur la ville d’Oyem provenant de Wikipédia.