L’arbre Esingang, également connu sous les noms d’Oveng ou de Bubinga, s’impose majestueusement dans les vastes forêts d’Afrique centrale, où il peut atteindre des hauteurs vertigineuses de 40 à 60 mètres. Son appellation scientifique est Guibourtia tessmannii qui n’est autre que l’Oveng et selon André Raponda Walker, l’Oveng encore appelé « bois de rose d’Afrique » est l’un des plus grands arbres de la forêt primitive à gros contreforts s’élevant très haut, au-dessus du sol. (…) Magnifique bois rouge-brun, veiné très dense. Selon le Dr Angèle Christine Ondo, l’Oveng est l’arbre sacré d’Engong reliant le monde des vivants à celui des Ancêtres. Avec une longévité estimée à 500 ans, cet arbre, véritable témoin de l’histoire, occupe une place centrale dans les traditions et croyances du peuple Ekang. Mais au-delà de sa stature imposante, qu’incarne réellement l’Esingang pour ce peuple ancestral ?
Esingang, un arbre mystique et sacré
Pour les Ekang, l’Esingang ne se résume pas à un simple élément du paysage forestier. Il est l’incarnation d’un lien spirituel puissant, un intermédiaire entre le monde visible et celui des esprits. Sa robustesse et son mystère en font un arbre respecté, voire vénéré. Il est dit que cet arbre n’est pas facilement accessible ; il faut « mériter » de le rencontrer. Il se cache au cœur des forêts denses, et pour le trouver, il est nécessaire d’être guidé par des initiés. L’arbre est gardé par un protecteur désigné « le gardien de l’arbre », détenteur d’un savoir transmis de génération en génération. Pour approcher cet arbre vénérable, un rite de passage est indispensable, témoignant du respect et de la sacralité qui l’entourent.
Une légende raconte que l’Esingang aurait sur son tronc des inscriptions mystiques, gravées, contenant les noms de figures influentes du Cameroun depuis les guerres de l’indépendance. Il sert également d’oracle dans les pratiques de divination, renforçant son caractère sacré et surnaturel. L’accès à cet arbre est un privilège qui n’est accordé qu’à ceux qui en sont jugés dignes.
Un sanctuaire menacé par la déforestation
Hélas, l’hypermondialisation favorisant l’exploitation abusive des ressources forestières met en péril cet arbre centenaire. La destruction des forêts, notamment par des engins de terrassement, a forcé les Esingang à reculer dans des zones de plus en plus isolées, voire inaccessibles. Selon certaines croyances, des rituels de protection ont été effectués autour de ces arbres, assurant que quiconque tente de s’en approcher sans autorisation met sa vie en danger. En quête de refuge, ces arbres se seraient retranchés au cœur de clairières ou près de cours d’eau, loin des abattages sauvages.
L’arbre Esingang et la pharmacopée traditionnelle
L’Esingang n’est pas seulement un symbole spirituel, mais également un pilier de la médecine traditionnelle Ekang. Ses écorces et ses feuilles sont prisées pour leurs nombreuses vertus thérapeutiques. Cependant, leur prélèvement obéit à un protocole rigoureux. Avant toute cueillette, il est impératif de se soumettre à un rituel mené par des initiés et en présence du gardien de l’arbre. Une fois la quantité requise prélevée, la cicatrisation de l’arbre est facilitée en appliquant de la terre sur la blessure infligée, un geste de gratitude et de respect envers cette entité vivante.
Les vertus de l’Esingang sont multiples. Il est utilisé pour soigner des affections variées telles que les fièvres, le paludisme, l’hypertension artérielle, les troubles menstruels et digestifs. Ce géant de la forêt, véritable pharmacien naturel, joue ainsi un rôle essentiel dans la préservation de la santé des communautés locales.
Esingang, un bois prisé en ébénisterie
Outre ses usages médicinaux et spirituels, l’Esingang est également très recherché pour la fabrication de meubles de luxe. Son bois, très lourd, d’une teinte rougeâtre caractéristique, est réputé pour sa solidité et sa résistance aux insectes xylophages. Cette essence est particulièrement prisée dans l’ébénisterie haut de gamme, où elle sert à fabriquer des tables basses et divers objets de valeur, destinés à des salons privilégiés. Sa rareté et ses qualités intrinsèques justifient le prix élevé des meubles réalisés à partir de cet arbre exceptionnel.
L’urgence de préserver un patrimoine en péril
Face à la menace croissante de la déforestation, il est impératif de tirer la sonnette d’alarme. Les abattages incontrôlés de nos forêts mettent en danger non seulement l’équilibre écologique, mais aussi des trésors culturels et spirituels comme l’Esingang. Cet arbre n’est pas seulement un élément du patrimoine naturel, il est l’incarnation d’une sagesse ancestrale, d’une médecine millénaire, et d’un lien sacré avec les ancêtres.
Les autorités traditionnelles alertent aujourd’hui sur la disparition progressive de ces arbres « spirituels », prévenant que la destruction des Esingang pourrait provoquer la colère des ancêtres. La préservation de cet arbre revêt donc une importance capitale, non seulement pour les communautés locales qui en dépendent, mais aussi pour l’ensemble de l’écosystème forestier dont il fait partie intégrante.
Préservons l’Esingang pour les générations futures
L’Esingang est bien plus qu’un arbre ; il est le symbole des cultures du Bassin du Congo, d’une spiritualité et d’une médecine traditionnelle riches et précieuses. Dans un contexte où les forêts d’Afrique centrale sont menacées par la déforestation, il est de notre devoir de protéger ce géant centenaire. Sa survie est intimement liée à l’équilibre écologique de la région. Nous devons agir maintenant pour garantir que les générations futures puissent encore profiter des bienfaits de l’Esingang, cette porte vers les mystères.
Notes de référence :
- Raponda Walker dans Les plantes utiles du Gabon, 1995, page 230
- Mvett Ekang : Forme et Sens de Angèle Christine Ondo, page 160
- https://fr.vikidia.org/wiki/Essingan