Au cœur de la Seconde Guerre mondiale, les chefs traditionnels, les « fonctionnaires indigènes » et la nouvelle élite intellectuelle d’Afrique centrale s’unissent pour dénoncer les abus coloniaux. Exaspérés par les discriminations salariales, la qualité des enseignements et l’expropriation foncière, ces leaders expriment un profond mécontentement face à l’oppression coloniale. Cette agitation suscite la naissance de mouvements nationalistes visant à conquérir l’indépendance. En Guinée équatoriale, les chefs Ndowé, Bubi et Fang forment un front commun contre la destruction des croyances religieuses ancestrales (cultes religieux traditionnels), l’interdiction des rites sacrés et la profanation des sanctuaires par les colons. Face à ces contestations, les autorités françaises et espagnoles interdisent plusieurs de ces mouvements, notamment ceux des Fang, craignant une menace pour la stabilité de leur domination.
Le Congrès Fang de Mitzic : Une déclaration d'intentions
Le premier Congrès Fang, tenu à Mitzic au Gabon du 26 au 27 février 1947, marque un tournant pour les revendications des Fang durant la période coloniale. Il est organisé en réponse à la Conférence de Brazzaville de 1944 et à la création de l’Union Française en 1946. Cette Conférence, présidée par le général de Gaulle, rejette toute idée d’autonomie pour les colonies, consacrant au contraire l’extension des pouvoirs coloniaux. En parallèle, l’Union Française, née en 1946, formalise l’assimilation des colonies au sein de l’empire français, la généralisation de l’enseignement de la langue française et enfin une intégration politique et administrative renforcée. C’est le Président de la République Française qui était le Président de l’Union Française.
Le Congrès de Mitzic exprime ainsi le rejet de cette assimilation forcée et appelle à une reconnaissance des droits des populations Fang. Les chefs traditionnels et des intellectuels Fang s’accordent sur la nécessité de valoriser leur patrimoine culturel tout en redéfinissant leur rôle dans la société coloniale.
La Naissance des mouvements ELAT AYONG et NGON NTAN
En 1948, à la suite du Congrès de Mitzic, émergent en Guinée équatoriale les mouvements ELAT AYONG et NGON NTAN, dédiés à la défense de l’identité Fang. Ces mouvements revendiquent la fin des travaux forcés, la cessation des mauvais traitements et la suppression des privilèges coloniaux. Ils appellent également à la valorisation des traditions culturelles et linguistiques Fang. Les délégués qui sont pour la plupart des chefs traditionnels et l’élite intellectuelle, débattent sur la crise de l’organisation sociale et politique des Fang. Ils accusent le nouveau code de la famille et la justice coloniale de favoriser les divorces, l’adultère, la prostitution et la baisse de la natalité.
Ces mouvements nationalistes, tout en affirmant une forte opposition à l’occupation européenne, visent aussi à réhabiliter les pratiques culturelles ancestrales telles que le culte des ancêtres, la polygamie et les sociétés initiatiques comme le Ngil. Les membres encouragent les Fang à enseigner leur langue aux jeunes générations et à privilégier son usage quotidien, soulignant l’importance de la langue dans la transmission de la culture et l’unité du peuple.
UNIFANG : Le Rêve d'une Unité Fang
L’un des projets les plus ambitieux issus du Congrès Fang de Mitzic de 1947 est la création de l’UNIFANG ou Union du Peuple Fang visant à rassembler les membres de cette ethnie répartis entre plusieurs territoires de la sous-région Afrique centrale. Des manifestations sont régulièrement organisées des deux côtés des frontières coloniales, regroupant les Fang du Cameroun, du Congo, du Gabon et de la Guinée espagnole. Ces rassemblements, perçus comme une menace par les autorités coloniales, sont réprimés avec vigueur, notamment en Guinée espagnole, où le mouvement « Socorro Mutuo Pamue » prend forme en se camouflant en association d’entraide.
Ce mouvement, bien qu’officiellement destiné à la solidarité, constitue en réalité un réseau de résistance pacifique, prônant la solidarité entre les Fang des différents territoires et posant les bases d’une lutte pour l’indépendance culturelle et politique.
Macias Nguema et l'Échec de l'UNIFANG
L’idée de l’UNIFANG prend une dimension politique avec Macias Nguema Biyogo, premier président de la République équato-guinéenne. En 1972, il tente de concrétiser ce projet en demandant au Conseil de sécurité de l’ONU (Organisation des Nations Unies) de reconnaître officiellement l’UNIFANG comme un État indépendant. Cependant, ce projet échoue, faute de soutien des autres dirigeants non-Fang des pays voisins tels que le Gabon, le Cameroun et le Congo.
L'UNIFANG : Une Vision pour l'avenir de l'Afrique
Aujourd’hui, la question de l’UNIFANG semble de nouveau d’actualité. Après le découpage de l’Afrique lors de la Conférence de Berlin en 1884-1885, les conflits internes et l’instabilité n’ont cessé de marquer le continent. Cette partition artificielle a divisé les peuples, fragmenté les territoires et imposé des systèmes politiques souvent inadaptés à la réalité africaine.
L’idée de l’UNIFANG repose sur une réhabilitation des structures sociopolitiques précoloniales et la reconstitution des entités ethniques au sein de fédérations. L’objectif est de permettre à ces fédérations de transcender les frontières coloniales tout en maintenant une unité culturelle et spirituelle propre à chaque groupe ethnique. Ce fédéralisme pourrait garantir une meilleure harmonie entre les peuples et leurs territoires, en s’inspirant de modèles comme celui de la Suisse, où chaque canton jouit d’une autonomie tout en adhérant à une structure étatique commune.
Le Fédéralisme comme solution à la Crise Africaine
Un État fédéral, par définition, est un regroupement d’entités autonomes qui partagent un gouvernement central tout en préservant leurs spécificités régionales. Ce modèle, déjà expérimenté avec succès dans des pays tels que la Suisse, pourrait être adapté aux réalités africaines. Il offrirait une alternative à l’État unitaire, souvent perçu comme oppressif et générateur de conflits ethniques.
L’idée n’est pas de recréer des divisions identitaires, mais de proposer un cadre permettant à chaque ethnie de s’épanouir au sein de fédérations ethniques ou régionales, tout en respectant l’unité nationale. Ce modèle pourrait ressusciter des entités historiques telles que l’empire du Wagadou, le royaume Kongo ou l’empire Ashanti, tout en stimulant une saine concurrence entre les différentes provinces (états).
Ce fédéralisme ne peut voir le jour sans au préalable un enseignement réel de notre « vraie » Histoire, l’histoire de nos peuples qui aujourd’hui, est entachée de mensonges créés afin de les diviser pour mieux régner. La création d’un comité scientifique rassemblant des historiens, des archéologues et des anthropologues de bonne foi, associés à des autorités traditionnelles validées par le sceau des Ancêtres, pourrait se constituer et travailler sur ces questions avec des moyens octroyés par les États concernés.
Avantages de la mise en place de l'UNIFANG en douze points
- Préservation de l’identité culturelle et linguistique : L’UNIFANG garantirait la protection et la valorisation de la langue Fang, facilitant ainsi la transmission intergénérationnelle des savoirs et des traditions. Cela renforcerait également l’unité au sein de la communauté.
- Solidarité ethnique et fraternité : L’union des Fang transcenderait les frontières coloniales, créant un lien de fraternité entre les membres de cette communauté dispersée à travers plusieurs pays. Cela permettrait de recréer une solidarité intra-ethnique puissante.
- Autonomie et gestion locale : L’adoption d’un modèle fédéral donnerait aux Fang une autonomie régionale leur permettant de gérer leurs affaires locales selon leurs spécificités culturelles et politiques, tout en étant intégrés dans un cadre plus large.
- Renforcement de la spiritualité : Le projet UNIFANG offrirait l’opportunité de restaurer et d’honorer les pratiques spirituelles et religieuses Fang en harmonie avec la nature et le cosmos, un élément central de la vie Fang précoloniale.
- Modèle économique compétitif : Chaque entité fédérée entrerait dans une dynamique de développement local, stimulant ainsi l’innovation et l’attractivité économique des territoires Fang.
- Stabilité politique accrue : L’UNIFANG pourrait permettre une meilleure gestion des tensions interethniques, souvent exacerbées par les frontières coloniales. En redéfinissant les frontières selon des réalités ethniques, on pourrait réduire les conflits internes et promouvoir la stabilité politique.
- Renforcement de l’influence régionale et internationale : Un État Fang unifié aurait davantage de poids sur la scène régionale et internationale, notamment au sein des organisations panafricaines. Cette influence pourrait également se traduire par une coopération accrue entre l’État Fang et ses voisins.
- Développement éducatif et linguistique : L’UNIFANG pourrait également encourager la création d’un système éducatif en langue Fang, facilitant ainsi l’intégration des jeunes générations dans leur culture, tout en leur offrant une éducation adaptée à leur réalité locale.
- Gestion durable des ressources naturelles : En mettant l’accent sur la préservation de la nature et en réintégrant les pratiques spirituelles ancestrales, l’UNIFANG pourrait favoriser une gestion plus durable des ressources naturelles, un enjeu crucial pour les futures générations.
- Tourisme culturel et écologique : La promotion du patrimoine Fang, associé à une stabilité politique, pourrait attirer un tourisme de niche, centré sur l’écotourisme et la découverte des traditions ancestrales.
- Gestion des migrations ethniques : L’idée de créer des cartes d’identité ou des passeports par fédération ethnique faciliterait les échanges entre les communautés Fang de différentes nations, tout en simplifiant la gestion administrative des populations.
- Coopération transfrontalière : L’UNIFANG favoriserait une meilleure coopération économique, éducative et sociale entre les territoires Fang. Cela permettrait de mutualiser les ressources et de lancer des projets de développement communs.
Conclusion : L'UNIFANG, une nécessité pour la survie culturelle
L’UNIFANG ne doit pas être perçue comme une régression vers un repli identitaire, mais comme une opportunité de réinventer l’avenir politique de l’Afrique en respectant ses racines culturelles. Face à une civilisation en déclin, cette fédération ethnique offrirait un cadre institutionnel capable de préserver l’héritage spirituel et culturel du peuple Fang, tout en renforçant la solidarité et la cohésion sociale. Plus qu’une idée politique, l’UNIFANG pourrait représenter un impératif pour la survie d’une civilisation africaine en déclin. Cette vision pourrait servir de modèle à d’autres groupes ethniques en Afrique, contribuant ainsi à réformer en profondeur l’organisation des États africains dans le respect des réalités ethniques et culturelles.
Notes de Référence :
- Adeline NGAH ELINGUI, Politiques linguistiques et multiculturalisme en République de Guinée Équatoriale, de la colonisation espagnole à nos jours, thèse de doctorat, Université François-Rabelais de Tours.
- Cyriaque Simon-Pierre Akomo-Zoghe, 1er Congrès International Fang de Mitzic-Gabon (1947).