L’Angon Mana, un style populaire du Mvett Ekang créé par Okot Esila

Okot Esila et l'Angon Mana

Dans le vaste monde des traditions orales africaines, le Mvett Ekang se distingue par sa profondeur, sa richesse narrative et sa spiritualité intense. Ce genre majeur de la littérature orale Ekang incarne l’esprit et l’expérience des peuples Fang, Bulu et Beti. Le Mvett n’est pas simplement une forme de divertissement : il constitue un moyen de raconter l’histoire, de partager les valeurs, les croyances et même les batailles de ces communautés. Parmi ses formes les plus emblématiques, l’Angon Mana émerge comme un style récent, à la fois viril et captivant. Selon Gaspard Towo-Atangana, auteur d’un ouvrage de référence sur le Mvett, l’Angon Mana reflète la virtuosité artistique et le génie narratif des Ekang, à une époque où l’oralité demeurait le seul témoin de l’histoire.

Dans son ouvrage Mvett Ekang : Forme et sens, le Dr Angèle Ondo révèle qu’Angonemane, ou la « pierre de fée », assiste Ngurane Ngurane dans sa victoire contre le crocodile Ombure. Angonemane est en réalité une fée dont le nom symbolise la fin de l’innocence liée à la virginité. Par ailleurs, certains avancent que l’esprit évoqué dans le Mvett Ekang pourrait être, entre autres, Angonemane. Cela soulève une question : Angon Mana et Angonemane désignent-ils la même entité ?

Nous nous proposons d’explorer en profondeur l’Angon Mana, son origine et ses caractéristiques. Pour ce faire, nous plongerons dans un récit richement détaillé tiré du livre Le Mvett, genre majeur de la littérature orale des populations Pahouines (Bulu, Béti, Fang-Ntumu) de Gaspard Towo-Atangana, écrit en 1964, qui révèle les éléments faisant de cet art un trésor vivant et vibrant.

Les origines de l'Angon Mana

Les traditions orales rapportent que le Mvett Ekang est originaire du pays Ntumu, plus précisément de la tribu Okak, située dans la région frontalière chevauchant le Cameroun, le Gabon et le Rio-Muni (Guinée Équatoriale). Ce témoignage est-il fondé ? Toujours est-il que, selon Gaspard Towo-Atangana, les meilleurs joueurs de Mvett Ekang connus sont Ntumu, et que tous ceux qui excellent dans cet art au sein d’autres ethnies revendiquent toujours avoir appris auprès d’un maître Ntumu. Mais qu’est-ce que le style « Angon Mana » et quelle est son origine ? Nous tenterons d’y répondre dans les lignes qui suivent.

L’Angon Mana, également appelé Angon Mana Ekomo, a été popularisé par des figures emblématiques telles que le Grand Maître Zwe Nguema et le célèbre Akue Obiang, tous deux originaires du Gabon. Ce style se distingue par sa richesse et sa diversité, succédant à l’Ogbeng, un genre antérieur désormais disparu. Les traditions orales, corroborées par les témoignages de Gaspard Towo-Atangana, confirment que l’Angon Mana puise son essence dans une invention singulière attribuée à une femme aveugle, Nkot-Esila, également appelée Okot Esila selon les différentes langues Ekang. Née en Guinée Équatoriale, dans le village de Minbang, Nkot-Esila y aurait développé cet art avant de s’éteindre il y a environ cent dix ans.

La légende de Nkot-Esila ne se limite pas à sa propre création ; elle témoigne également d’un transfert de savoir. Assomo Ngono Ella, grande maîtresse de Mvett originaire du Cameroun, qui perdit la vue à la suite de son initiation au Mvett Ekang, révèle avoir été une élève de Nkot-Esila, elle aussi aveugle.

Nkot-Esila a formé de nombreux autres disciples, parmi lesquels Mengi Na Edang Obama, qui fut à son tour le mentor de Ntuntum Jia, issu de la tribu Yenkeng. Ntuntum Jia, à son tour, transmit le Mvett à Ndongo Awomo Ekomo. Ce dernier, dans sa quête de maîtrise, aurait accompli un sacrifice en sorcellerie : il paya son apprentissage à son maître en sacrifiant sa sœur, Angono Mana, fille d’Ekomo. Cet acte marquant s’ancrera dans la mémoire collective de ce style, car en jouant le Mvett, Ndongo Awomo chantait son otage Angono Mana Ekomo. C’est ainsi que cette dénomination s’est progressivement étendue à tout le genre, faisant de l’Angon Mana un style épique par excellence de la littérature orale Ekang.

Le répertoire varié des bebom bemvet ou « conteurs de Mvett » est riche et foisonnant. Les biban, ces chants qui le composent, sont comparables aux « chants » de l’Odyssée et de l’Iliade d’Homère. Ils relatent des épisodes de conflits anciens, évoquant des luttes internes et des affrontements avec les voisins, et reflètent les tensions qui traversaient la société.

Ainsi, l’Angon Mana n’est pas seulement un style, mais un patrimoine vivant, nourri par des figures emblématiques comme Akoma Mba et des récits épiques qui continuent de captiver les auditeurs d’hier comme d’aujourd’hui.

Les caractéristiques de l'Angon Mana

L’Angon Mana se distingue par ses récits rythmés par les chants, accompagnés de danses, qui illustrent une complexité artistique impressionnante. La narration, riche en métaphores et en proverbes, est conçue pour captiver l’audience, la plongeant dans un monde où chaque mot compte.

Assister à une séance d’Angon Mana est une expérience sensorielle sans pareille. Le spectacle ne se limite pas à une simple narration ; c’est une performance complète alliant la parole, la musique, la danse et le mime. La scène s’illumine lorsque le conteur de Mvett entre en action, et l’ambiance se transforme instantanément.

Le processus de formation d’un conteur de Mvett est long et exigeant, souvent marqué par des sacrifices personnels. Les apprentis mettent des années (au moins 20 ans) à maîtriser cet art, à travers un apprentissage traditionnel qui implique souvent des rituels significatifs. Le prix du savoir est élevé. Le conteur de Mvett est une figure recherchée et redoutée dans les pays qu’il parcourt : on l’admire pour son habileté ; on apprécie les séances qu’il donne, car « l’Angon Mana est bon comme la canne à sucre et délicieux comme du miel » ; on le redoute, car il possède toujours l’evu, cette petite bête mystérieuse qui se cache dans le ventre de certaines personnes et les dote de forces magiques capables de faire mourir les gens, même à distance.

Les performances se caractérisent par une esthétique visuelle impressionnante : les joueurs portent sur la tête une touffe de plumes, aux bras et aux hanches des peaux d’animaux, généralement des chats sauvages (minsing), et des petits grelots autour des pieds. Ce costume, dont tous les éléments ont des significations magiques ou médicales en rapport avec leur art, est commun aux hommes et aux femmes qui pratiquent l’Angon Mana.

Conclusion

Inscrit au Patrimoine de l’UNESCO, le Mvett Ekang n’est pas simplement une série de récits, mais un enseignement pour l’humanité. À une époque où la modernité menace d’effacer les voix du passé, la préservation des traditions orales est essentielle. L’Angon Mana, toujours vibrant et puissant, continue d’exister à travers le Mvett Ekang, rappelant à chacun d’entre nous l’importance d’avoir des racines culturelles solides.

En célébrant l’Angon Mana, nous honorons non seulement une forme d’art, mais également les histoires, les luttes et les triomphes d’un peuple. Le Mvett Ekang, à travers l’Angon Mana, est une voix intemporelle qui s’élève, portée par les vents de l’histoire, connectant les générations passées à celles à venir. Il nous rappelle que c’est dans ce tissu narratif que réside notre humanité partagée, notre quête d’identité et notre désir d’appartenance.

Note de références :

  • « Le Mvett, genre majeure de la littérature orale des populations Pahouines (Bulu, Béti, Fang-Ntumu) » de Gaspard Towo-Atangana.
  • Dr Angèle Ondo dans « Mvett Ekang : Forme et sens » page 107.

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